Avec un seul de ses opéras représenté jusqu’à cette édition (Tosca en 2019), Giacomo Puccini ne se situe pas exactement dans le cœur du répertoire du Festival d’Aix-en-Provence. Ne pouvant pas pour autant ignorer le centenaire de la disparition du compositeur, la manifestation a programmé Madama Butterfly au Théâtre de l’Archevêché, lieu à ciel ouvert a priori idéal pour ce titre qui comprend plusieurs scènes nocturnes.

Ermonela Jaho (Cio-Cio-San) © Ruth Walz
Ermonela Jaho (Cio-Cio-San)
© Ruth Walz

Peut-on trouver aujourd’hui meilleure Butterfly qu’Ermonela Jaho pour incarner, dans sa voix et dans sa chair, la pauvre Cio-Cio-San ? Depuis de nombreuses années, la soprano albanaise a fait sien ce rôle et fait sortir les mouchoirs du public, pleurant elle-même régulièrement à chaudes larmes au cours du dernier tableau. On retrouve ce soir sa voix expressive, très précise musicalement, entre le drame qui passe dans les graves et certains aigus ineffables émis pianissimo. Son grand air du deuxième acte « Un bel dì, vedremo » montre aussi un contrôle absolu de la ligne vocale, passage chanté d’abord allongée, puis à genoux pour la dernière partie.

Le ténor Adam Smith en Pinkerton craque une petite note quasiment à son entrée en scène mais ne se montre pas déstabilisé pour autant. Le timbre est ensoleillé et agréable et le registre le plus aigu se montre régulièrement éclatant. Vigoureux baryton d’une égale qualité sur la tessiture, Lionel Lhote compose un Sharpless davantage diplomate que véritable soutien moral et humain de Butterfly. La mezzo japonaise Mihoko Fujimura forme une émouvante Suzuki, le soupçon d’instabilité qui point par instants ajoutant à ce sentiment. Le ténor Carlo Bosi, au son bien concentré qui tire vers le ténor de caractère, est idéal en Goro, In-Ho Jeong (le Bonze) et Kristofer Lundin (Yamadori) remplissent leur office, tout comme Albane Carrère (Kate Pinkerton) en fin d’ouvrage.

Loading image...
Madama Butterfly au Festival d'Aix-en-Provence
© Ruth Walz

Invité régulièrement au Festival depuis 2010, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon est placé sous la baguette de son directeur musical Daniele Rustioni et délivre une musique d’une grande beauté qui renforce la tension dramatique sur le plateau. On apprécie le mordant des attaques aux cordes, ainsi que la qualité des courts passages de virtuosité des bois solistes ; de même que les brèves interventions des chœurs, presque invisibles au premier acte, habillés de noir dans la pénombre des deux côtés de la scène.

L’enthousiasme est moindre pour ce qui concerne l’aspect visuel. La mise en scène d’Andrea Breth démarre de manière assez classique, dans la scénographie de Raimund Orfeo Voigt qui situe l’action dans l’intérieur très dépouillé de la jeune geisha. Entourée par un tapis roulant qui permet les déplacements solennels de divers personnages, l’habitation de Cio-Cio-San ressemble à une cage à oiseaux géante, avec ses poteaux verticaux qui entourent le volume. L’idée est confirmée par le passage d’oiseaux articulés en fin de premier acte, au travers de la fenêtre en fond de plateau et autour de l’appartement. Dommage, la magie de ce grand et long duo d’amour, sous le ciel étoilé aixois, s’en trouve un peu perturbée.

Loading image...
Madama Butterfly au Festival d'Aix-en-Provence
© Ruth Walz

Mais cela n’est presque rien en regard du choix calamiteux de remplacer l’habituel enfant de Butterfly par une poupée, forcément inanimée. On y perd considérablement en charge affective… et on est assez loin de sortir les mouchoirs ce soir ! Les contresens sont également nombreux, par exemple quand Butterfly berce son garçon (« Dormi, amor mio, dormi sul mio cor ») alors que le petit mannequin est assis deux mètres à l’arrière. Ou encore la dernière entrevue avec son fils avant le suicide (« Tu ? tu ? tu ? tu ? Piccolo iddio ! »), vécue ici comme un monologue où disparaît complètement la douleur de la mère… Un choix malheureux, on le répète !

***11