C'est une constante chez Klaus Mäkelä lorsqu'il dirige l'Orchestre de Paris à la Philharmonie : le programme est toujours gastronomique, composé comme un menu aussi copieux qu'original. Ce soir, quatre compositeurs français sont à l'honneur et le voisinage de Boulez et Poulenc ne surprendra que ceux qui ignorent l'admiration et même le soutien que le second manifesta au premier dès la création du Domaine musical en 1954.

Klaus Mäkelä à la tête de l'Orchestre de Paris © Mathias Benguigui / Pasco and Co
Klaus Mäkelä à la tête de l'Orchestre de Paris
© Mathias Benguigui / Pasco and Co

L'ouverture se fait avec un septuor de cuivres disposé tout en haut des gradins du chœur de la grande salle Pierre Boulez, juste sous l'orgue. Cette brève Initiale de moins de cinq minutes, écrite par Pierre Boulez pour l'inauguration de la Menil Collection à Houston (1986), est un des hommages que la Philharmonie de Paris rend au compositeur pour le centenaire de sa naissance. Comme les autres pièces brèves de Boulez (on pense à Messagesquisse, elle aussi écrite pour un septuor... de violoncelles), il s'agit d'une partition ludique, virtuose, et très « esprit français », une expression que n'eût pas récusée son auteur.

Il faut ici préciser que le concert de ce soir est réservé aux moins de 28 ans – l'âge exact du chef ! – et qu'il comporte une pièce majeure du répertoire – les Nocturnes de Debussy – qui sera étrangement absente du concert du lendemain ouvert à tous les publics. Ceux-ci auront été privés d'une exécution exceptionnelle !

Toutes les qualités qu'on ne cesse de rappeler au fil des programmes que Klaus Mäkelä dirige à Paris éclatent à nouveau ici. Dès le premier volet (« Nuages »), le plus mouvant, le plus changeant, le plus onirique aussi, le chef encadre ses musiciens d'une battue précise et ferme, tout en laissant s'épanouir les lignes souples du cor anglais relayé par le basson, la flûte et le hautbois. L'orchestre sonne avec une homogénéité rare et délivre tous les dégradés de couleurs d'une marine à la Turner ou d'un ciel à la Boudin. Le second volet (« Fêtes ») est abordé par Mäkelä avec le même souci du détail – les échos d'un cortège traversant la fête – qui s'intègre dans une vision joyeuse, épanouie (la beauté des cuivres) mais jamais clinquante, offrant ce « mélange de musique, de poussière lumineuse participant au rythme total » comme Debussy lui-même présentait ce mouvement.

On est un peu surpris, au départ du troisième volet (« Sirènes ») par le nombre et la puissance des choristes femmes qui ont pris place au-dessus de la scène. Elles ne sont a priori qu'une couleur additionnelle de l'orchestre, elles ne chantent pas un texte. L'équilibre sera vite rétabli et, sans l'avoir interrogé à ce sujet, on imagine que Mäkelä aime disposer d'un chœur important – on l'avait déjà relevé dans un récent Requiem de Fauré – pour jouer plus facilement d'une riche palette de nuances. En tout cas il réussit pleinement ce que Debussy souhaitait (« le chant mystérieux des sirènes parmi les vagues argentées de lune »), jusqu'à sa dissolution dans le silence.

L'Orchestre de Paris n'avait plus donné les Nocturnes de Debussy depuis 2011. C'est aussi le cas avec le Gloria de Poulenc qui va suivre. C'est peu dire que le contraste entre les deux œuvres est saisissant, le choc esthétique patent. Mäkelä n'en a cure. Il échappe aux ombres tutélaires de Charles Munch le créateur et Georges Prêtre le fidèle de Poulenc, en exaltant plutôt une filiation stravinskienne. Il ne cherche pas à exacerber le cliché « moine et voyou » trop facilement accolé au compositeur. Il souligne la pureté, la tendresse même des interventions de la soprano Elsa Benoit. Le chœur magnifiquement préparé par Richard Wilberforce confère un relief et une grandeur inattendus au chef-d'œuvre de Poulenc.

Après l'entracte, les Tableaux d'une exposition sont évidemment très attendus. C'est souvent l'occasion pour des chefs à court d'inspiration d'en mettre plein la vue et les oreilles. On a heureusement ce soir tout le contraire, d'abord parce Mäkelä a choisi d'honorer avant tout Ravel et l'extraordinaire coloriste et orchestrateur qu'il est. Ensuite parce que la subtilité, le travail sur les alliages sonores – si importants chez Ravel –, l'art de la narration sont admirables. A-t-on jamais entendu plus tendre déambulation dans « Le vieux château » (quelle poésie dans le jeu du basson et du saxophone), plus sarcastique « Bydlo » ? Dans le portique final (« La grande porte de Kiev »), le chef fait jaillir les mille trésors de l'orchestre de Ravel, construisant un crescendo qui repose sur l'addition et le mélange des sonorités plutôt que sur la seule puissance.

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