Jean-Yves Clément, le directeur artistique et fondateur voici vingt ans des Lisztomanias de Châteauroux, porte un regard bienveillant et sans concession sur les jeunes pianistes. Il suit leur développement, l'accompagne en les invitant ici, comme au Nohant Festival Chopin qui se tient l'été non loin de là, à donner des récitals dans des séries qui les associent à des confrères plus avancés qu'eux dans la carrière, peut-être de façon à accréditer l'idée que chacun doit être écouté pour lui-même, pas soupesé à l'aune de la célébrité. Chaque après-midi, un récital de piano se donne donc dans l'auditorium de la Chapelle des Rédemptoristes. Cette année, c'est au tour de Jean-Baptiste Doulcet, d'Aurélien Pontier, de Fabrizio Chiovetta et du duo constitué d'Audrey Lonca-Alberto et Paolo Rigutto. 

Mais cette chapelle est aussi le lieu idéal pour des conférences. Après avoir bu les paroles et apprécié les révélations par Nicolas Dufetel des carnets de musique du jeune Liszt, le festivalier a pu assister à la proliférante, toute de passion pour la transmission, causerie de Bruno Moysan dont les titres de gloire sont trop nombreux pour être cités ici. Le musicologue est allé chercher dans la toute proche Révolution française ce qui a marqué le jeune Liszt arrivé à Paris vers ses 13 ans et qui fêtera ses 20 ans autour de la Révolution de juillet 1830 puis de sa confiscation rapide par Louis-Philippe. La pertinence des liens qu'il tisse entre tous les personnages croisés par Liszt pendant sa formation intellectuelle et morale de citoyen tient une heure durant l'auditoire suspendu à ses propos. Bravo ! Car il s'agit aussi d'une performance.

Aurélien Pontier dans la Chapelle des Rédemptoristes © Benjamin Steimes / Châteauroux Métropole
Aurélien Pontier dans la Chapelle des Rédemptoristes
© Benjamin Steimes / Châteauroux Métropole

C'est la tête pleine de toutes ces informations, et des réponses lumineuses qu'elles apportent à des questions que l'on n'avait pas pensé se poser, que l'on prend place une heure après dans le même lieu pour assister au récital qu'Aurélien Pontier consacre à Liszt transcripteur d'opéra. Ancien élève de Jean-François Heisser au Conservatoire de Paris, puis de Murray Perahia et de Maria João Pires, il commence par le Lacrimosa du Requiem de Mozart et nous plonge dans un monde de douceur, d'équilibre, de chant : la lumière qui émane du piano et la profondeur harmonique de son jeu créent un monde aussi paisible que celui de la Feierlicher Marsch de Parsifal qui suit. N'était la sourde inquiétude douloureuse de la musique de Wagner, qui n'est pas fonctionnelle comme celle de Mozart mais n'évoque pas moins une sorte de transcendance spirituelle et un dépassement des conditions matérielles de son exécution pianistique qui fait oublier l'orchestre.

Pontier sera moins convaincant dans la Mort d'Isolde de Tristan : son jeu est trop analytique pour que les parties intermédiaires ne sonnent pas trop. La sonorité plantureuse qu'il tire du Yamaha de l'auditorium et dont il pare le Miserere du Trouvère lui fait perdre de sa vocalité au profit d'une densité moins théâtrale qu'instrumentale, mais très convaincante. Cette manière réussit moins à la Paraphrase de concert sur Rigoletto : il faut y danser avec grâce au-dessus d'un volcan. Ce sera peut-être aussi ce qui réfrénera – un peu seulement – notre enthousiasme dans la Valse de Faust de Gounod. En l'arrangeant pour piano, Liszt a su trouver derrière la banalité de cette musique de ballet ce qui précipite le drame. Il faut là aussi danser avec grâce, porté par une fureur pianistique qui laisse entrevoir la noirceur derrière les flonflons et une nostalgie feinte. Trop direct, pas assez fuligineux, le piano d'Aurélien Pontier est intègre. Les Sabéennes, berceuse de l'opéra La Reine de Saba, du même Gounod, vont mieux à ce piano sans artifices, sans fard, tout au service de la musique.


Le voyage d'Alain a été partiellement pris en charge par les Lisztomanias de Châteauroux.

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