Ce samedi après-midi, le Cervin disparaît peu à peu derrière les nuages. Pour la deuxième « Matterhorn Serenade » du Zermatt Music Festival and Academy, on a fait appel à la Fanfare du Haut-Valais sur la place de l'église, histoire de rappeler la formidable vitalité de ces formations amateurs qui sont autant à la tradition suisse que le chocolat ou la fondue. Les arrangements jazzy d'airs classiques célèbres (comme L'Arlésienne de Bizet) mettent le public en joie. 

Julian Rachlin et l'Orchestre du Festival de Zermatt © Olivier Verrey
Julian Rachlin et l'Orchestre du Festival de Zermatt
© Olivier Verrey

Changement de registre à 19h30 cette fois dans l'église Saint Maurice avec un concert intitulé « Mendelssohn in the Highlands ». Pourquoi le commencer avec l'ouverture des Noces de Figaro de Mozart, quand du même Mendelssohn l'ouverture Les Hébrides – qui fait allusion à une curiosité géologique de l'île de Staffa en Écosse – eût idéalement illustré le propos, et naturellement introduit le Concerto pour violon op. 64 puis la Troisième Symphonie dite « Écossaise » du compositeur allemand ?

On passera donc rapidement sur ce Mozart trop précautionneux, plus destiné à tester la cohésion de l'Orchestre du Festival de Zermatt qu'à évoquer une folle journée. Julian Rachlin est ce soir doublement à la fête, comme chef de cet orchestre et comme violoniste soliste. L'exploit n'est pas mince tant la musique de Mendelssohn – singulièrement dans son célébrissime Concerto pour violon op. 64 – ne supporte aucune approximation, aucun artifice. La pureté de l'intonation, la souplesse de l'archet sont conditions sine qua non pour l'interprète exposé en pleine lumière tout au long de trois mouvements qui s'enchaînent.

Le tout début nous donne quelques craintes, vite levées lorsque, s'appuyant sur le premier violon Christophe Horak (membre du Scharoun Ensemble de Berlin), Julian Rachlin peut se libérer de ses contraintes de chef et laisser s'épanouir le molto appassionato du premier mouvement. De ce violoniste autrichien originaire de Lituanie, on se rappelait les premiers disques, virtuoses, brillants. Comme hier dans le Deuxième Sextuor de Brahms, Rachlin fait certes montre d'une technique superlative mais au service d'un discours d'une grande élévation, aidé il est vrai par la chaleur du son du magnifique Guarneri del Gesù de 1741 qu'il a entre les mains.

Autour de lui, le jeune orchestre fait mieux que l'accompagner, il donne à Mendelssohn la légèreté de trait, les couleurs coruscantes d'un authentique romantisme. Le mouvement lent comme une berceuse sans paroles est dit avec la simplicité, la justesse qui sont la signature de Julian Rachlin et de ses musiciens et débouche sur un finale qu'on croit échappé de la musique de scène du Songe d'une nuit d'été : le violon s'amuse et virevolte dans un malicieux dialogue avec les vents de l'orchestre. Voilà bien longtemps qu'on n'avait entendu interprétation aussi réjouissante de ce concerto !

Il ne faut que quelques minutes – les concerts du Festival de Zermatt se déroulent sans entracte – au soliste Julian Rachlin pour ranger son violon et revenir avec sa baguette de chef devant l'orchestre pour la symphonie de Mendelssohn qui a donné son titre au concert : l'Écossaise, esquissée dès 1829 après un voyage du jeune Mendelssohn dans les Highlands, achevée en 1842 à Londres et dédiée à la reine Victoria. Comme la veille dans la Première Symphonie de Brahms, Julian Rachlin et ses musiciens vont nous en raconter les quatre mouvements avec un naturel, une ardeur proches de l'idéal qu'on espérait.

Quatre mouvements comme autant d'épisodes d'un vaste fresque descriptive : on est d'emblée dans les brumes et les mystères de l'Écosse avec les premiers frémissements en la mineur de la mélodie qui ouvre le premier mouvement. L'acoustique particulière de l'église, très réverbérante sans public, donne au contraire ce soir à entendre les mille détails de l'orchestre si finement ciselé et transparent de Mendelssohn. Après les brumes, le compositeur laisse éclater, dans le fa majeur du Vivace qui suit, la joie, l'émerveillement du voyageur au son d'une clarinette qui peut évoquer la cornemuse paraît-il si chère à la défunte reine Elisabeth.

Retour au la mineur avec un Adagio cantabile où, dans un tempo plutôt allant, Julian Rachlin laisse chanter ses vents solistes et s'épanouir un quatuor plus fusionnel encore qu'hier dans Brahms. Le début du finale surprend par la relative modération qu'y met le chef : il y a bien peu de guerriero dans cet Allegro vivacissimo, et pourtant on voit, on entend l'orage que déclenche Mendelssohn et qui va bientôt déboucher sur une magistrale coda, en forme d'hymne exaltant sans doute la majesté de l'Empire britannique ! 


Le voyage de Jean-Pierre a été pris en charge par le Zermatt Music Festival & Academy.

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