Sont-ce les vacances des Parisiens, un soir de concert inhabituel ? On s’étonne de ne pas voir l’Auditorium de Radio France comble pour un programme censé attirer le grand public, le Requiem de Mozart – même si ce n’est pas la version « traditionnelle » qui est proposée au public.

Lionel Sow © Édouard Brane
Lionel Sow
© Édouard Brane

Le concert s’ouvre par une brève pièce chorale chantée a cappella, Da pacem Domine, composée par Arvo Pärt à la demande de Jordi Savall pour commémorer l’effroyable attentat qui a fait près de 200 morts à Madrid le 11 mars 2004. La pièce est d’ailleurs donnée tous les ans en Espagne en mémoire des victimes de cette tragédie. Elle a ce soir toute sa place avant le Requiem de Mozart qui s’y enchaîne sans interruption.

On sait le compositeur estonien maître d’un art choral puisé aux sources médiévales, à la simplicité méditative recherchée. Ce n’est pas le répertoire le plus familier de la formation maison – le Chœur de Radio France étant par nature plus adapté aux grandes fresques symphoniques et chorales – et le tout début de la pièce fragilise les pupitres de sopranos, mais l’ensemble retrouve vite sa cohésion. Le problème vient plutôt de la neutralité du propos et de l’expression : certes ce Da pacem Domine offre peu de contrastes et de mouvement, repose sur des répétitions obsessionnelles, mais le texte, celui d’une antienne grégorienne, n'est pas dit, prononcé avec la force qu’il devrait susciter (« Donne-nous la paix Seigneur, en ce jour il n’y a personne d’autre que toi notre Dieu qui combatte pour nous »). La ferveur, le recueillement, l’émotion même semblent absents d’une interprétation qui se contente d’une belle mise en place.

C’est malheureusement aussi ce qui va caractériser l’exécution d’un Requiem de Mozart qui avait tout pour éviter la banalité. C’est en effet à un jeune corniste, Félix Roth, qu’on doit une nouvelle version de l’œuvre la plus célèbre du Salzbourgeois. On sait que ce Requiem est resté inachevé, qu’il a été complété par plusieurs plumes, arrangé, réarrangé à de multiples reprises. Félix Roth fait donc observer que la version que l’on joue habituellement n’a rien d’authentique, et que « rien n’interdit donc à des interprètes de sortir des sentiers battus ». Ce qu’il fait ce soir, en réduisant l’orchestre à un ensemble de onze vents et une contrebasse, issus de l’orchestre Les Siècles. Il insère de surcroît la Musique funèbre maçonnique entre l’Offertoire et le Sanctus qui n’est pas celui de Süssmayr mais qu’il emprunte avec le Benedictus à la Messe K317 dite « du Couronnement » – on avoue ne pas avoir très bien perçu la pertinence de cette permutation.

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Le Chœur de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Le premier avantage de cette nouvelle version est le rééquilibrage spectaculaire des masses sonores au profit du chœur, l’absence d’un opulent tapis de cordes faisant saillir la verdeur des vents des Siècles et l’éloquence du trombone de Cyril Lelimousin dans le Tuba mirum. On s’attend à ce que ce « dégraissage », cet allègement du corpus sonore s’applique aussi aux forces chorales, on espère que Lionel Sow va lui aussi nous procurer une écoute renouvelée, rafraîchie, d’un tube qu’on a trop longtemps entendu comme une messe de Bruckner sous d’illustres baguettes.

On sent bien le chef soucieux de la cohésion, de l’homogénéité de sa formation, notamment dans les passages fugués où la prestesse du tempo lui donne l’occasion de faire briller ses troupes. Mais, à nouveau, le travail sur le texte, les affects, les nuances passe au second plan. Comme si la performance technique – et elle est tout à l’honneur du Chœur de Radio France ! – était un but en soi. On a rarement été aussi peu touché par une exécution du Requiem de Mozart. Les quatre solistes vocaux, tous issus du Chœur, ont rempli leur office, dans la même optique.

Heureusement, tout à la fin, Lionel Sow et ses troupes offriront en bis un Ave verum corpus d’une intériorité, d’une ferveur, d’une beauté qui rattraperaient presque toutes les sécheresses de la soirée.

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