Difficile d’évoquer la musique de Jean Sibelius sans user du poncif – néanmoins pertinent – de l’hymne à la nature finlandaise, à son climat, ses paysages, ses éléments ; surtout quand les frimas scandinaves d’En Saga semblent prolonger le climat hivernal et les premières bises qui s’abattent en bourrasque sur l’inébranlable Maison de la radio. Bien que ce poème symphonique ne revendique aucune sorte de programme ou source littéraire à même de guider l’interprétation, son titre – que l’on peut traduire par « Une légende » ou « Un conte » – appelle toutefois une forme de récit et de narration que convoque pleinement ce soir Sakari Oramo, à la tête de l'Orchestre philharmonique de Radio France.

L’introduction se révèle dynamique et lumineuse, et fait montre d’une clarté d’ensemble, d’une objectivité rare dans ces mesures parfois prises avec plus de brume ; la suite de l’œuvre se montrera cohérente avec ces premières mesures en ne laissant aucune place ni au statisme ni au mystère. Par son tempo rapide, fermement tenu et peu erratique, le chef avance sans s’arrêter ni se retourner, sans jamais hésiter sur le chemin de cette épopée toujours en mouvement et ponctuée de divers épisodes – à la manière d’une certaine Symphonie alpestre : là un torrent, ici une cascade ou un orage – que l’auditeur doit saisir avant qu’ils ne disparaissent. Si le dernier fortissimo apparaît quelque peu gratuit et démesuré, on sait tout de même gré à Sakari Oramo d’avoir écarté toute vulgarité des appels de cor dans la grande cavalcade, au profit du tumulte nettement plus saisissant des cordes. On pourra toujours préférer un Sibelius plus métaphysique, plus spectral, plus abstrait ; reste que l’unité de la forme et la cohérence du propos ont rendu plus que convaincante cette vision d’En Saga.
Concernant la forme, il faut bien admettre que la Symphonie n° 8 d’Antonín Dvořák est plutôt déconcertante : les idées musicales y sont si nombreuses et si juxtaposées que cette Huitième donne parfois l’étrange impression d’avoir été écrite au fil de la plume. Mais qu’importe le caractère décousu de la partition, Sakari Oramo ne retient que l’élan, la générosité et la spontanéité de cette musique franchement irrésistible, sans chercher à la faire rentrer de force dans un discours d’ensemble ou un cadre scolastique.
Libéré de cette fausse contrainte et bien aidé par un Philhar’ aussi habile dans l’alternance des caractères qu’un caméléon dans l’alternance des couleurs, le chef se concentre sur la spécification et les contrastes de cette symphonie, comme s’il peignait une boîte de friandises dans laquelle se côtoieraient pêle-mêle guimauves et réglisses, bonbons et chocolats. À ce titre, on retiendra particulièrement les deux thèmes principaux du second mouvement, l’un pris comme une oraison funèbre aussi pesante que morose, l’autre comme une danse primesautière toute en légèreté. Le troisième mouvement quant à lui développe une valse délicate, spontanée et abordée avec une simplicité des plus touchantes par les interprètes du soir – notamment Magali Mosnier et Olivier Doise, respectivement à la flûte et au hautbois. Enchaîné sans pause, le dernier mouvement se montre peu racoleur ou pompier au regard de sa bacchanale conclusive.
En fin de première partie, la soprano Anu Komsi assurait la création française des cinq Saarikoski-laulut de Kaija Saariaho, issus du recueil Alue de Pentti Saarikoski et récemment orchestrés par la compositrice finlandaise décédée en juin dernier. À la fois singulières et homogènes, ces cinq mélodies convainquent autant par les idées (notamment ce glissando de contrebasse figurant, après les percussions sylvestres, naturalistes voire écologistes de Luonnon kasvot, l’amer bruit d’un moteur automobile) que par le langage orchestral d’une Saariaho au sommet de son art dans la ciselure du discours, la finesse des alliages, la richesse du matériel. Alternant les techniques et les registres, attentive à l’orchestre et au texte, Anu Komsi délivre une interprétation à la fois pudique et sensible de ces pièces dont elle est la dédicataire, laissant l’auditeur dans les plus hautes sphères et sur un nuage d’émotion.