Est-ce un congrès de l’alto ? À voir le nombre d’adeptes de l’instrument – espoirs de conservatoires ou professionnels reconnus – qui se pressent dans les couloirs de la Philharmonie, on peut légitimement s’interroger. L’explication est simple : l’œuvre préférée des altistes, Harold en Italie de Berlioz, va retentir ce soir dans la grande salle, incarnée par celle qui a fait basculer l’alto dans une autre dimension il y a une trentaine d’années, Tabea Zimmermann. Par son lyrisme clair, son archet agile, sa virtuosité limpide, celle-ci a tracé la voie que suit aujourd’hui l’alto français : Antoine Tamestit, Adrien La Marca, Adrien Boisseau sont par exemple tous passés par la Hochschule de Berlin pour recueillir les précieux conseils de Tabea.

La voilà qui rejoint Les Siècles sur scène. Personnage principal de l’étonnante symphonie berliozienne, l’alto-Harold prend bientôt la parole : la sonorité est ample, doucement mélancolique. Tabea utilise un vibrato économe, l’expressivité venant avant tout de l’archet qui caresse la corde avec souplesse. Confortée par un orchestre capable des nuances les plus fines (splendides arpèges à la harpe), la soliste se risque dans un pianissimo insaisissable. Quand il s’agit de colorer la partition en touches délicates, Tabea fait merveille : ses arpèges miroitent au milieu de la procession du second mouvement, rendant secondaire l’intonation perfectible de la petite harmonie.

Quand le discours s’anime, l’altiste ne s’emporte pas, au contraire : elle contrôle ses appuis, conservant toute sa justesse et toute sa grâce. Sobre et élégant, le thème balancé du premier mouvement gagne en héroïsme lors de sa reprise. Mais c’est surtout dans le troisième mouvement que Tabea montre tout le panache de son alto, donnant à la sérénade des élans passionnés et passionnants. Devant une telle démonstration, on en vient à regretter que l’alto s’efface dans le finale, ce qu’exige une partition nettement plus symphonique que concertante.

Sous la battue énergique de François-Xavier Roth, Les Siècles en profitent pour monopoliser la scène. On admire alors pleinement les qualités de leur interprétation. Tempos équilibrés, nuances fortement contrastées, solos chantants et tutti musclés : pour célébrer les 150 ans du décès du compositeur, l’orchestre offre un Berlioz spectaculaire, magnifié par les timbres des instruments d’époque. On apprécie la chaleur tendre du cor anglais, excellent dans la sérénade comme dans l’ouverture du Carnaval romain avant l’entracte. On s’incline devant l’exactitude et la puissance collective des cuivres, rutilants dans le finale de Harold en Italie comme dans l’ouverture de Benvenuto Cellini un peu plus tôt. Les cordes ne sont pas en reste, dynamiques du premier au dernier pupitre.

Dans la série des ouvertures et autres pages symphoniques qui composaient la première partie de ce concert 100% Berlioz, on regrette en revanche l’hétérogénéité des bois, malmenés par un hautbois souvent trop haut. Ce serait un détail si le reste de l’orchestre compensait ce léger déséquilibre… Or François-Xavier Roth avance en général généreux, plus soucieux de l’allure que de l’ordre. Contrairement au très soigné Harold qui suivra après l’entracte, la première partie fait entendre des approximations inattendues chez Les Siècles : les subtilités de l’orchestration sont difficilement perceptibles dans les tutti, volumineux jusqu’à la caricature. Contrechants et formules d’accompagnement s’échangent dans un équilibre instable (Béatrice et Benedict). Enfin, les traits virtuoses qui hérissent régulièrement les cordes (Roméo et Juliette) paraissent étonnamment brouillons. Il en résulte un Berlioz brut, non dénué de brio mais loin de la précision chirurgicale montrée par l’orchestre, l’an passé, pour célébrer Debussy.

Fin du concert. Après le succès de Harold en Italie, François-Xavier Roth prend la parole, demande haut et fort l’entrée de Berlioz au Panthéon et conclut en grande pompe, sur un bis en forme de clin d’œil : ce sera la « Marche hongroise », extrait de La Damnation de Faust popularisé par Louis de Funès dans La Grande Vadrouille. La soirée s’achève dans une liesse générale. L’année Berlioz est officiellement ouverte.

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