Ballet néo-romantique aux accents tragiques, l’Onéguine de John Cranko, qui n’avait pas été dansé depuis plusieurs années à l’Opéra de Paris, sera la dernière danse de l’étoile Mathieu Ganio avant ses adieux à la scène. La première du ballet, sublimement portée par Mathieu Ganio et la danseuse étoile Ludmila Pagliero, qui prépare elle aussi ses adieux à la scène quelques semaines après son partenaire, a annoncé le compte à rebours qui s’égrènera tout au long du mois de février et préludé à l’émotion bouleversante des adieux de ces deux artistes très aimés du public.

Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero dans <i>Onéguine</i> &copy; Julien Benhamou / Opéra national de Paris
Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero dans Onéguine
© Julien Benhamou / Opéra national de Paris

Mathieu Ganio, à la danse si élégante, est entré dans la légende de l’Opéra de Paris en tant que plus jeune danseur à avoir été nommé étoile. Ses vingt années de carrière de danseur étoile lui ont permis de mûrir un style achevé, noble et d’une grande profondeur dramatique. Ludmila Pagliero, danseuse virtuose d’origine argentine, a su s’illustrer brillamment dans tous les répertoires chorégraphiques de l’Opéra de Paris, du classique le plus exigeant (et ce jusqu’aux dernières heures de sa carrière) à la création contemporaine (inoubliable chez Crystal Pite notamment), en passant par le néoclassique le plus technique. Souvent partenaires, les deux artistes rayonnent dans Onéguine avec la sincérité et la maturité d’interprètes accomplis, que l’on regrettera sur scène.

Ballet créé par John Cranko en 1965 et inspiré par le chef-d’œuvre d’Alexandre Pouchkine, Onéguine ne s’appuie pas sur la partition de l’opéra éponyme de Tchaïkovski – aussi déconcertant que cela soit –, mais sur une mosaïque d'autres morceaux du même Tchaïkovski, sans lien avec Onéguine. Chorégraphe sud-africain précurseur de John Neumeier, Kenneth McMillan ou plus lointainement William Forsythe, John Cranko compose un ballet néo-romantique, narratif et haletant, où l’histoire et les émotions se déploient avec lisibilité. Cette dramaturgie bien construite, calquée sur celle de l’opéra de Tchaïkovski, surpasse la chorégraphie, émaillée de quelques pas de deux grandioses, mais où les variations solistes et les grands tableaux d’ensemble sont plus faibles. Le corps de ballet, qui s’égaye dans des rondes villageoises un peu mièvres, de trop nombreux piétinés à pieds joints et des sorties de scène en cavalcades de grands jetés, est confiné dans un rôle peu astucieux.

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Léonore Baulac (Olga)
© Julien Benhamou / Opéra national de Paris

Onéguine est donc un ballet pour de bons interprètes plutôt que de grands virtuoses, porté par une chorale de personnages – Tatiana, Onéguine, Olga et Lenski. Le rideau s’ouvre sur un lieu de villégiature baigné de tons ocres, où des jeunes filles se reposent à l’ombre des bouleaux. Léonore Baulac, dans le rôle d’une Olga guillerette qui sombre dans le drame, présente des variations d’une grande fluidité et avec de magnifiques lignes de bras romantiques. Marc Moreau incarne à ses côtés une palette d’émotions justes et nuancées, passant de l’amour à l’orgueil blessé, puis à l’abîme du désespoir romantique. Sa variation de l’acte II, qui montre Lenski à l’aube de la mort avant le duel avec Onéguine, est d’autant plus éloquente que sa chorégraphie en elle-même ne contient rien de touchant (seules quelques pirouettes et des bras tendus).

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Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero dans Onéguine
© Julien Benhamou / Opéra national de Paris

Dans le rôle d’Onéguine qui ne contient peu ou prou aucune variation de soliste, Mathieu Ganio se distingue dans la pure théâtralité et dans son excellence en tant que partenaire. Son Onéguine prend toute la lumière sans jamais forcer le trait, ni ricaneur, ni roué, il baille simplement d’ennui dans une société qu’il dédaigne férocement. Les pas de deux de Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero, lors du songe de Tatiana dont les portés sont vertigineux, ou lors du final de l’acte III aux étreintes brisées, ne laissent jamais entrevoir la difficulté et s’enchaînent dans un art maîtrisé, qui s’épanouit pour la dernière fois. Ainsi s’éloignent les chemins souvent entrecroisés de ces deux artistes et partenaires en scène, qui nous ont fait vibrer encore dans Onéguine.

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