Le concert s’ouvre sur une œuvre déroutante. L’auditeur entend le premier accord tranchant caractéristique de l’ouverture Coriolan de Beethoven avant un fracas de percussions assez peu commun chez le maître de Bonn, créant une fusion des genres saisissante. La composition de la Coréenne Unsuk Chin, subito con forza, est un curieux mélange de motifs beethovéniens avec une instrumentation luxuriante (qui donne la part belle aux timbales et aux cloches) et offre un étonnant prélude à un concert aux conceptions plus classiques par la suite.

Gustavo Gimeno dirige l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg
© Philharmonie Luxembourg / Alfonso Salgueiro

L’Orchestre Philharmonique du Luxembourg et son directeur musical Gustavo Gimeno s’embarquent en effet dans deux œuvres plus connues du grand public, la Symphonie en ré mineur de César Franck, et avant cela la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, avec en soliste l’Italienne Beatrice Rana. Pianiste désormais incontournable de la scène internationale, la musicienne aborde cette sorte de concerto déguisé avec franchise. Si certains de ses collègues y distilleraient un rubato parfois plus finement réalisé ou feraient entendre une main gauche plus prégnante, la pianiste fait entendre des attaques nettes voire percussives quoique jamais dures et une projection et une présence sonore indiscutables.

Beatrice Rana
© Philharmonie Luxembourg / Alfonso Salgueiro

Ainsi le discours musical laisse en permanence place à la clarté des lignes et de la construction, sans que la soliste se montre cependant avare en mystère et en libertés : la grande variation centrale, au ton hollywoodien quand elle est déployée avec élégance par l’orchestre et Gimeno, est édictée avec une pointe de timidité par Rana, qui lâche ensuite les chevaux dans un finale où elle engloutit gammes et arpèges sans aucune démonstration de virtuosité facile, suscitant l’adhésion du public luxembourgeois.

Pas d’entracte (Covid-19 oblige) mais un petit changement de plateau avant la dernière partie consacrée à César Franck. La Symphonie en ré mineur constitue l’unique symphonie du compositeur belge, qui l’écrivit à la fin de sa vie. L’orchestration compacte voire austère contraste avec les excentricités de Rachmaninov. Cela n’empêche pas l’émergence de moments de grâce, en particulier dans le mouvement central où le cor anglais solo, accompagné de la harpe, déploie simplement et sans grandiloquence le thème ensuite développé par un tapis de cordes dense et homogène, soutenu par des basses généreuses rappelant par endroits le fondu sonore des Berliner Philharmoniker. La richesse du contrepoint, clairement identifié, et la capacité des musiciens à trouver un point d’entente pour dessiner de splendides espaces sonores constituent la force de cette interprétation.

L'Orchestre Philharmonique du Luxembourg et son directeur musical, Gustavo Gimeno
© Philharmonie Luxembourg / Alfonso Salgueiro

Dans cet Allegretto, Gustavo Gimeno semble particulièrement sensible à l’indication de caractère. Avec un souci constant – et plaisant – de toujours faire avancer l’orchestre sans jamais le brusquer, Gimeno frappe par la justesse des tempos choisis, toujours mesurés et équilibrés, rendant son discours efficace et respectueux du texte, exactement comme dans la Troisième Symphonie de Mahler entendue en décembre dernier. Le maestro privilégie l’équilibre global et veille à l’harmonie des plans sonores. Les bois ne se laissent pas happer par les cordes et les cuivres ne semblent jamais passer en force… quitte à atteindre par moment un plafond de verre : dans le troisième et dernier mouvement, le temps paraît plus long, le geste interprétatif moins caractérisé de Gimeno a du mal à accrocher l’oreille de l’auditeur, les couleurs orchestrales pâlissent et le discours perd en singularité.

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