Ce 30 mai à la Philharmonie de Paris, on avait le choix entre deux concerts : Klaus Mäkelä et Sol Gabetta avec l’Orchestre de Paris ou l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire, une pianiste et un chef encore peu connus. Avec le très bon souvenir des jurys de concours de chefs d’orchestre dans lesquels on avait jadis siégé, on a vite choisi le second parce que c’était pour le jeune Félix Benati l’épreuve finale de son Prix de direction d’orchestre et donc une étape essentielle de sa vie de chef. À 27 ans (le même âge que Mäkelä), il a déjà un parcours enviable, il sera l’assistant de Michael Schønwandt lors de la prochaine session de l’Orchestre Français des Jeunes.

Félix Benati
© Ferrante Ferranti - CNSMDP

Sorti de la classe d’Alain Altinoglu, le jeune homme ne passe pas inaperçu avec sa silhouette longiligne accentuée par une longue chevelure encadrant un visage diaphane qui eût pu servir de modèle à un peintre préraphaélite. Mais ce ne sont pas ses qualités plastiques ni sa dégaine romantique qu’avait à juger un jury où l’on reconnaissait des chefs comme Pascal Rophé et Alexandre Bloch, mais les aptitudes de Félix Benati à se sortir d’un programme redoutable.

Première pièce – imposée – du programme, Kontra-Punkte (1952), l’œuvre d’un Stockhausen de… 27 ans (le chiffre fétiche de la soirée ?), pour dix instruments solistes. La complexité d’écriture de l'ouvrage est inversement proportionnelle à sa sécheresse d’inspiration. Et ce ne sont pas les explications du compositeur lui-même qui nous éclaireront : « Les Kontra-Punkte (Contre-Points) pour dix instruments sont nés d'une préconception, du projet d'obtenir dans un monde sonore divers et multiple, fait de tons et d'intervalles temporels distincts, la dissolution de toutes ces oppositions, jusqu'à atteindre le stade où l'on n'entend plus qu'une entité totale et immuable ». Si le résultat musical est bien mince, on admire l’aisance du chef battant des mesures constamment irrégulières. Mais pourquoi ne pas avoir préféré à cette aridité datée la fantaisie ludique et tout aussi complexe d’un Ligeti, dont on célèbre le centenaire ?

On suppose que le choix du Concerto pour piano de Robert Schumann était destiné ensuite à vérifier les qualités d’accompagnateur du chef dans une œuvre plutôt casse-gueule de l’aveu de beaucoup de pianistes et chefs, notamment dans son troisième mouvement qui semble tourner sur lui-même, répétant à l’infini des tournures qui pourtant ne sont jamais tout à fait les mêmes. La jeune pianiste Diane Cooper perdra d'ailleurs pied dans ce finale redouté. Soliste et chef finiront par se retrouver, mais, indépendamment de cet accident, l’ensemble du concerto ne s'est jamais départi d’une lecture bien scolaire.

La troisième œuvre au programme est, cette fois-ci, le choix du chef. C’est faire preuve d’une audace certaine que de s’attaquer aux trois Nocturnes de Debussy, l’une des partitions les plus abouties de son auteur quant au traitement de l’orchestre, l’une des plus difficiles à interpréter aussi de l’aveu même de plus d’une baguette confirmée.

On ne va pas mesurer la prestation du jeune Français à l’aune de ses illustres aînés, d’autant qu’on ignore quel temps de répétition lui était alloué pour préparer ce programme. Quoi qu'il en soit, Félix Benati connaît manifestement la partition, guide la vaste phalange déployée devant lui avec un geste sûr mais – sans doute en a-t-il conscience – Debussy ne se réduit pas à une parfaite mise en place. La précision rythmique n’exclut pas une sensualité plus affirmée, des contrastes plus prononcés, des transitions mieux ménagées. Et surtout plus que leur superposition, la fusion des timbres d’un orchestre qui n’a jamais été aussi « impressionniste ». Le dernier volet « Sirènes » ressemble ici à un concerto pour chœur de femmes. Les dix chanteuses, convoquées par Debussy pour être une couleur de et dans l’orchestre, sonnent trop fort, elles n’auraient pas dû être placées en fond de scène mais soit en coulisses, soit réparties sur les côtés. En cours de route, Benati rétablit l’équilibre, fait saillir la richesse de la matière orchestrale. Nul doute qu’avec plus de répétitions, moins de stress, plus d'expérience, le résultat sera plus convaincant.

Longuement applaudi par une salle toute acquise à sa cause, Félix Benati obtiendra finalement son Prix avec mention Très Bien. Il lui restera à affirmer une personnalité, à creuser son sillon d’interprète original, à libérer sa fantaisie, son imaginaire de musicien. C’est tout ce qu’on peut lui souhaiter.

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