Ce serait un euphémisme de dire que la soirée du 27 février était attendue à Québec. Pour l’exécution de La Création de Haydn, Jonathan Cohen a rassemblé une équipe de choc – 36 musiciens des Violons du Roy, 30 choristes de La Chapelle de Québec et trois solistes – qu’on sent entièrement dévouée aux desseins du chef. Il y a quelque chose de la fébrilité des grands soirs alors que ce dernier s’avance vers le podium pour se jeter à corps perdu dans ce jalon du répertoire choral. Dès le premier accord, auquel les cuivres naturels et les timbales baroques donnent une couleur presque surnaturelle, on comprend qu’on aura affaire à une soirée d’exception, dont on se souviendra assurément comme le sommet de cette année musicale. Ce que le chef fait avec son orchestre durant l’introduction tient de la prestidigitation. Le suspense insoutenable, les silences si habités, les dissonances crève-cœur, la magnifique clarinette de Jean-François Normand, la présence discrète mais fort agréable du nouveau pianoforte acquis par l'ensemble : tout concourt à saisir l’auditeur. Le reste de la soirée sera du même acabit. On pense aux couleurs d’outre-tombe du trio de la deuxième partie, où le monstre marin Léviathan gronde au contrebasson, ou aux rugissements des cors naturels au début de l’air « Rollend in schäumenden Wellen ».

On a dit la qualité de l’orchestre. Le chœur est pour sa part égal à lui-même avec une belle homogénéité entre les pupitres, une redoutable précision dans la diction et des vocalises d’une aisance sans pareille. Le chœur « Stimmt an die Saiten », en particulier, est une véritable fête. Cohen y fait preuve d’un admirable savoir-faire, en anticipant légèrement les entrées fuguées – créant ainsi un irrésistible climat d’urgence – et en soulignant juste assez les accents toniques. Seul le pupitre des sopranos – qui compte quelques visages inhabituels – semble légèrement plus faible, avec une sonorité parfois trop opératique.

Mais c’est probablement le calibre des solistes – masculins en particulier – qui frappe le plus. Le baryton allemand Thomas E. Bauer, en premier lieu, nous saisit dès sa première entrée, comme venu d’un autre monde pour proclamer la séparation des ténèbres et de la lumière. Avec sa présence magnétique, son éloquence raffinée – il jongle merveilleusement avec les « r » roulés pour décrire les différents animaux dans la deuxième partie –, sa voix boisée et d’une remarquable aisance, le chanteur fait mouche à tout coup. Même si son allemand est moins parfait – il a tendance à chanter davantage sur les voyelles que sur les consonnes –, le ténor britannique Allan Clayton est un autre élément fort de la soirée, avec une voix légère mais toujours ronde, et de redoutables dons de conteur. Dans son air « Mit Würd und Hoheit angetan », il dessine mille nuances, du piano presque susurré au forte claironnant. Si le charme opère également avec la soprano allemande Anna Lucia Richter, dont le timbre racé évoque Kathleen Battle ou Gundula Janowitz, avec une diction renversante, on reste cependant perplexe face à ses aigus, qui – probablement à cause de la nervosité – deviennent de moins en moins faciles à mesure qu’avance le concert, le problème étant flagrant dans le duo final, où les notes les plus aiguës ont tendance à être passablement poussées. Un bien petit détail toutefois dans cette soirée hors-norme, au terme de laquelle on ne doute plus que Jonathan Cohen représente un digne successeur de Bernard Labadie.

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