Monter un Ring est toujours une aventure. Mais avant même que ne débute cette très attendue Tétralogie bruxelloise qui s’étendra sur deux saisons, on pouvait partir de deux présupposés assez logiques. Le premier est que sur la foi des Lohengrin, Tristan et Parsifal déjà remarquablement dirigés par Alain Altinoglu, la partie musicale allait certainement être de premier ordre.
Le second est qu’une fois de plus, on ne savait pas trop à quoi s’attendre de la part de Romeo Castellucci. S’il est permis de reprocher au déconcertant metteur en scène italien des tics et des procédés parfois lourdement insistants, il faut cependant aussi lui reconnaître une réelle qualité, parfois enfouie sous ses maniérismes énervants : loin des mises en scène platement illustratives ou gratuitement provocatrices de nombre de ses confrères, il a le talent d’interroger l’œuvre au plus près, de sortir le spectateur de sa zone de confort et de poser des questions souvent extrêmement pertinentes.
Son début de L'Or du Rhin est réellement saisissant. Avant même que ne débute le célèbre prélude, apparaît sur la scène de La Monnaie plongée dans le noir un immense anneau doré descendant des cintres et qui, à peine touchée la scène, tourne doucement sur lui-même avant de s’écraser avec fracas. L’apparition des trois Filles du Rhin accompagnées de trois danseuses se détachant de l’obscurité toutes illuminées d’ocre est un ravissement et on comprend sans peine l’émoi d’Alberich.
Le décor conçu par Castellucci fait du Walhalla une salle vaste et claire couverte de bas-reliefs hellénistiques, sur le sol de laquelle rampent des dizaines de figurants en maillot chair qu’enjambent avec plus ou moins d’égards les dieux – on reconnaît Wotan et Fricka à leurs couronnes – et demi-dieux qui demeurent en ce palais. Cette foule grouillante représente-t-elle le cours du Rhin toujours changeant ou une humanité piétinée par les occupants du Walhalla ? Impossible de le dire.
Castellucci se laisse parfois aller à des procédés énervants ou difficilement compréhensibles, comme lorsque Loge macule au moyen de projectiles remplis d’encre de grandes photos en noir et blanc d’illustres interprètes wagnériens du passé (mais aussi du Wotan de Gábor Bretz qui lui fait face sur scène) ou glisse deux objets ovoïdes dans sa chaussette gauche jaune pâle. Quant à la remise du trésor (invisible ici) aux géants pour obtenir la libération de Freia (l’otage est amenée sur scène dans un sac-poubelle), elle est ici accompagnée de la descente des cintres de deux gigantesques alligators noirs, et c’est d’un puissant coup de saurien que Fafner tuera Fasolt.