On se demandait pourquoi on n'avait aucun souvenir des Brigands donnés à l'Opéra Bastille en 1994. On a la réponse ce soir avec cette nouvelle production de l'opéra-bouffe d'Offenbach, cette fois-ci donnée au Palais Garnier : parce qu'il n'y a pas grande substance musicale à en retenir, pas un air, un duo, un ensemble de ceux qui vous trottent longtemps dans la tête – comme dans La Périchole, La Belle Hélène ou Les Contes d'Hoffmann. Certes on doit à Jean-Christophe Keck le rétablissement de la partition originale mais c'est bien d'originalité que manquent ces Brigands. Un Offenbach écolo avant la lettre, puisque pratiquement toute la musique ici semble issue du recyclage de précédents succès. 

<i>Les Brigands</i> au Palais Garnier &copy; Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Les Brigands au Palais Garnier
© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Le duo de librettistes Meilhac et Halévy, dont c'est la sixième et ultime collaboration avec Offenbach, signent quant à eux une féroce satire sociale du Second Empire, un an avant la chute de ce dernier. Ils s'attaquent à l'univers corrompu de la finance en suggérant que le brigand comme le financier sont également amoraux, et que seul le vêtement les distingue. Le déguisement est au cœur de ces Brigands : dans un tourbillon de travestissements, les hiérarchies sociales sont moquées, renversées. À l'occasion du mariage entre la princesse de Grenade et le duc de Mantoue, trois millions doivent être remis à l'ambassadeur d'Espagne, un pactole qui ne peut pas échapper aux brigands !

Dans cette nouvelle mise en scène, Barrie Kosky, l'ex-directeur du Komische Oper de Berlin, semble avoir dévalisé les ateliers de costumes de l'Opéra, des Folies Bergère, du Lido et autres créateurs de la Fashion Week, se revendiquant de l'esthétique des films de John Waters et de leur vedette, la drag queen Divine. C'est ainsi accoutré qu'apparaît au premier acte Falsacappa, le chef des brigands, formidablement incarné par Marcel Beekman qui n'abandonnera ses talons compensés que de brefs instants au troisième acte. Les revendications de ses associés et l’établissement de sa fille unique lui causent bien du tracas, qu’aggrave la malhonnêteté de ses contemporains. Le vaste plateau de Garnier est parcouru dans tous les sens par une foule multicolore, les danseurs-danseuses sont court vêtus, la confusion des genres est totale – mais franchement rien qui ne devrait choquer le bourgeois.

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Les Brigands au Palais Garnier
© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Cette omniprésence de la foule et du mouvement finit toutefois par lasser d'autant qu'elle oblitère la compréhension des intrigues qui se nouent et se dénouent ; les personnages de Fiorella, fille de Falsacappa et cerveau du groupe (Marie Perbost), de son soupirant Fragoletto (Antoinette Dennefeld), voire de Pietro, le bras droit du chef (Rodolphe Briand), sont parfois juste audibles. On est presque content que ce premier acte se termine.

Le deuxième acte est de facture beaucoup plus classique dans les costumes comme dans les décors, mais la substance comique et musicale y est autrement plus dense. Falsacappa résume la situation à l'intention de ses brigands : « Nous allons nous substituer aux marmitons pour recevoir les gens qui viennent de Mantoue, puis nous nous substituerons aux gens de Mantoue pour recevoir les gens qui arrivent de Grenade et enfin nous substituerons aux gens de Grenade pour aller à la cour de Mantoue recevoir les trois millions. Rien n'est plus simple ! » Voire.

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Les Brigands au Palais Garnier
© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

L'ambassade de Grenade semble tout droit sortie d'un tableau de Velazquez, où trône la princesse d'Adriana Bignagni Lesca en grand apparat. Philippe Talbot compose un comte de Gloria-Cassis plus espagnol que nature, Flore Royer est un délicieux Adolphe de Valladolid. Mais il faut citer aussi, dans les petits rôles, les vétérans Frank Leguérinel, Éric Huchet, Yann Beuron (impayable baron de Campotasso) et Laurent Naouri (tonitruant chef des carabiniers). On va retrouver plus longuement au troisième acte le duc de Mantoue idéal de voix et de vis comica de Mathias Vidal, enterrant sa vie de garçon au milieu de nonnes en cornette.

La fête est vite interrompue par l'arrivée de la ministre du Budget (Sandrine Sarroche) saluant les spectateurs du « Palais Barnier », tenant un double discours : au duc de Mantoue elle garantit que les trois millions seront versés aux Espagnols mais, restée seule, elle confesse avoir dépensé tout le trésor public à son profit. La ficelle est grosse, la scène est longue, trop longue (rappelant l'intervention de Frosch dans le troisième acte de La Chauve-souris), jusqu'à ce qu'un finale endiablé rassemble les vrais et les faux brigands, Espagnols et Italiens de pacotille. De bout en bout, le chef Stefano Montanari aura relevé le défi de faire tenir ensemble une partition bien composite et, malgré quelques décalages, d'unir fosse et scène avec autant d'autorité que de subtilité.

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