Jacques Offenbach (1819-1880) prend pour un soir ses quartiers au Festival Berlioz, un anniversaire s'ajoutant à un autre : le 200e de la naissance pour le premier tandis que cette année Berlioz (1803-1869) marque les 150 ans du décès du natif de La Côte-Saint-André.

C'est Hervé Niquet qui monte au pupitre pour l'occasion, à la tête de l'Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine et du chœur du Concert Spirituel, ensemble vocal qu'il a fondé en 1987. Pour donner le ton, le chef français fait une entrée précipitée, comme pour rattraper un retard, tandis que les deux solistes Stéphanie d'Oustrac et Julien Behr s'assoient plus discrètement autour d'une petite table positionnée sur l'avant de la scène.

Pendant l'ouverture de La Grande-Duchesse de Gérolstein, le chef enjoué tourne la tête de temps à autre vers le public pendant que les choristes entrent en scène devant l'orchestre, en tenue de ville blanche ambiance vacances, chapeau de paille pour l’un d’entre eux, casquette pour un autre. Dans le « Chœur des Soldats » du même opéra bouffe, les masses sonores sont plus équilibrées que lors du concert de la veille, même si l'acoustique est à nouveau plus flatteuse pour l'orchestre. L'ensemble du Concert Spirituel se montre infaillible du point de vue de la cohésion et apporte un grand soin à l'articulation du texte.

Dans la chanson de Fritz (« Allez, jeunes filles, dansez et tournez ! »), le ténor Julien Behr fait entendre une voix bien concentrée et homogène sur toute son étendue, tandis que l'accompagnement orchestral vise davantage à la finesse qu'à la démonstration, le chef lâchant cependant les percussions enthousiastes sur la fin de l'extrait. Dans le plus fameux rondeau de la Grande-Duchesse qui suit (« Ah ! Que j'aime les militaires »), Stéphanie d'Oustrac fait sursauter tous les choristes sur ses premiers « Ah ! » surpuissants, puis déroule un beau chant vif, plein de charme et d'assurance, y compris dans ses parties les plus aiguës. La mezzo conserve toutefois son regard fixé sur sa partition, tout comme son compère ténor dans l'extrait qui enchaîne (« En très bon ordre nous partîmes »).

Hervé Niquet prend ensuite la parole pour lire une critique – peu élogieuse, c'est un euphémisme ! – écrite par Berlioz à propos de compositions d'Offenbach (un ballet ainsi que La Belle Hélène), ses digressions drôles mais surtout très méchantes ayant un goût anti-allemand très prononcé. Suit une séquence de La Belle Hélène, avec de longues pauses provoquant les rires de l'auditoire pendant l'ouverture. Après l'air de Pâris « Au mont Ida » chanté sans partition, ce qui crée une proximité plus favorable avec le public, Julien Behr est rejoint par Stéphanie d'Oustrac pour le duo du rêve « C'est le ciel qui m'envoie », au cours duquel la tension érotique monte : Hélène déboutonne légèrement son chemisier, les visages se frôlent et le couple termine enlacé. Le joyeux finale « Pars pour la Crète » conclut une première partie tout de même un peu courte (quarante minutes dont cinq de lecture).

Le chef revient après l'entracte, à nouveau tout sourire et en titubant cette fois, pour donner une ouverture de La Vie parisienne équilibrée, jouée avec sérieux mais loin d'être triste pour autant. Julien Behr fait preuve d'un certain abattage dans l'air du Brésilien, mais la présence nécessaire de la partition constitue comme un fil à la patte qui limite grandement son jeu. Après le finale « Par nos chansons et par nos cris », Niquet lit à nouveau des écrits de Berlioz où ce sont cette fois le public et les critiques d'opéra qui en prennent pour leur grade, ceux de l'époque mais aussi certainement les actuels, lorsque le chef tourne son regard ostensiblement vers la salle.

Le célèbre « Ah quel dîner je viens de faire » de La Périchole est ensuite chanté par cœur par la mezzo, avec un grand naturel et un beau délié vocal. Stéphanie d'Oustrac déambule un verre de vin en main sur le plateau, offrant un supplément d'interprétation appréciable. Dans d'autres extraits de La Périchole, la chanteuse fera reprendre l'orchestre, ayant « loupé son départ ». La première fois est plutôt sympathique, le chef indiquant « ne pas avoir remarqué » ! Mais le second accroc (« Tu n'es pas beau, tu n'es pas riche » dans l'acte III) suggère que le concert, préparé uniquement pour cette unique soirée, n'a probablement pas pu bénéficier de répétitions en nombre suffisant.

Orphée aux Enfers succède à La Périchole et les choristes se débarrassent de leurs partitions en les jetant vigoureusement sur scène après « Gloire à Jupiter ». Le fameux cancan final « Ce bal est original », repris rapidement en bis, achève un programme pas spécialement roboratif, la deuxième partie ayant duré autant que la première. Mais on conservera tout de même l'ambiance festive conclusive, quand les choristes débouchent quelques bouteilles et commencent à arroser joyeusement le plateau... Dommage d'arrêter là : encore un peu et on se dirigeait vers un podium de Grand Prix de Formule 1 !

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