Très attendue, après l’annulation de trois représentations à la suite d’un incident technique, la première de cette nouvelle mouture de Parsifal signée Richard Jones voit enfin le jour ce 13 mai, le temps d’une matinée peu commune. Forte d’une tenue et d’une distribution remarquables, portée par un souci conjugué du texte et du symbole, elle s’empare habilement de ses fulgurances et de ses ambiguïtés. Et propose une lecture du propos à la fois métaphysique et critique, fidèle et émancipée, loin du fantasme gênant de régénération et du lieu commun d’un Wagner racialiste.
Au diapason du propos du metteur en scène anglais, Philippe Jordan en donne les clefs dès l’ouverture, avec une maîtrise admirable, tirant la masse orchestrale vers une union des phrasés et une unicité des timbres, se jouant habilement d’un temps jamais suspendu. La lutte, terrassante, entre l’articulation consonante, déliée, des arpèges et accords, jamais alanguie, et l’inquiétude qui point sous le chromatisme, laisse deviner que c’est déjà un lyrisme sans malice qui se doit de l’emporter – et, avec lui, la trompette triomphante.
Ainsi, le premier et le second acte dialoguent comme les faces d’une même pièce faussement dialectique, celle d’une foi aveugle en une secte conjuguant dogme philosophique et dérèglement contrôlé des sens. La propagation de la parole divine se fait ainsi par des dictionnaires (« Wort ») distribués aux écuyers devenus membres d’une sorte d’école d’excellence, bustes monumentaux et salles de colloques à l’appui. Mais surtout par le sang de l’inquiétant Amfortas, à qui Peter Mattei prête la dureté de ses traits et de sa prononciation, et l’envoûtante profondeur de son timbre, quand la voix sombre et épaisse de Günther Groissböck remplit la salle de ses graves autoritaires. Etranger au milieu de cette foule aliénée, Andreas Schlager est un Parsifal aussi pataud et mal dégrossi que sa voix est robuste est décidée : elle vient déjà pallier le repli à l’œuvre.