Après un 55e anniversaire hors de son lieu fondateur pour cause de travaux, le Festival de l’Orangerie de Sceaux réinvestit son fief en retenant les leçons de l’édition passée. Les concerts hors les murs sont en effet maintenus, permettant au programmateur d’adapter ses propositions artistiques à différentes acoustiques. L’inauguration du cru 2025 illustre parfaitement cette approche, invitant le Quatuor Présages, ensemble vocal féminin, pour un concert a cappella dans l’église Saint Jean-Baptiste qui jouxte le Domaine de Sceaux.

Alors que le public attend dans un bâtiment éclairé uniquement par le faible rayonnement des vitraux au soleil couchant, Fiona McGown, mezzo-soprano du quatuor, se positionne seule devant l’autel et envoie un appel qui résonne un moment. La réponse de ses collègues quelques secondes plus tard a de quoi surprendre. Les voix semblent provenir de partout à la fois, et c’est en se retournant qu’on comprend qu’elles attendaient en toute discrétion de l’autre côté de la nef.
Les chanteuses ont décidé de débuter leur programme sans entracte par un moment de kulning. Si les auditeurs assidus de France Musique connaissent bien cette pratique traditionnelle scandinave des bergères (pour rappeler leurs troupeaux) grâce à une chronique d’Aliette de Laleu, la vivre en direct est une expérience. Même si le plafond bleu de l’église recouvert d’étoiles se veut une représentation du ciel nocturne, on comprend que cette musique a besoin des grands espaces des steppes : très vite, le volume sature. Fort heureusement il s’agit de la seule occurrence d’un tel déferlement, tout le reste du programme se mariant à merveille avec les jeux d’écho du lieu.
Les Présages montrent d’ailleurs une certaine appétence pour la recherche acoustique. Outre cette introduction en stéréo, elles n’hésitent pas à se déplacer pendant ou entre les morceaux. Ainsi l’adaptation du chant bulgare Dragana est l’occasion pour la soprano Julie Mathevet de parcourir les deux collatéraux en improvisant des bruitages proches de chants d’oiseaux pendant que ses collègues alimentent la puissante mélodie principale.
Le moment le plus réussi du concert les voit toutes les quatre au centre de la nef, éclairées uniquement la lueur des leds au-dessus des pupitres qui définissent un carré. Des œuvres du compositeur estonien Veljo Tormis permettent aux Présages de décliner une technique d’ensemble variée sans jamais abandonner une certaine densité au cœur de leur identité : Meri Kiige All est une pièce à base de murmures qui colorent la voix grave envoutante de l’alto Anaïs Bertrand ; plus tard, Tuul Konnüma Kohal déchaîne des attaques cassantes avant de finir sur quelques paroles entre le parlé et le chuchoté.
La conception du programme découle d’une composition de la compositrice d'origine singapourienne Diana Soh dédiée au Quatuor Présages, Sous notre peau, suite de cinq mouvements qui ponctuent le concert. Si l'on peine à saisir la cohérence de l’œuvre qui mêle plusieurs langues (au moins le latin et l’anglais), les mouvements pris séparément peuvent avoir leur intérêt grâce à leur caractérisation (polyphonie et techniques vocales mais également percussions corporelles et jeux de prononciation muette). Les Présages semblent par ailleurs paradoxalement moins à l’aise avec cette partition que pour le reste du programme. Chaque musicienne est équipée d’un diapason qui lui sert de repère harmonique mais également de baguette pour mener l’ensemble lorsque la voix principale lui échoit ; la crispation de la soprano Marion Tassou sera palpable à la fin de l’œuvre, lors de mouvements particulièrement risqués rythmiquement.
Quelques textes de Clara Ysé entrecoupent l’enchainement des pièces. Déclamés par les chanteuses à tour de rôle, de manière parfois un peu trop hachée pour bien suivre le sens des phrases, ils abordent différents thèmes autour de la construction de soi à travers parole, le rêve, la musique et la violence. Si leur présence au début du concert est parfois presque frustrante car coupant les atmosphères chorales prenantes des pièces, on salue à la fin leur rôle de respiration, alors que les derniers morceaux s’enchainent sans pause significative.
On ressort de l’église conquis par la cohérence de la proposition artistique, en particulier de la correspondance idéale entre le lieu du concert et le répertoire interprété. Il serait très intéressant de réécouter le Quatuor Présages dans une salle plus traditionnelle, comme celle d’un théâtre classique, afin de découvrir le résultat de leurs recherches acoustiques dans un environnement plus sec.
Ce concert a été organisé dans le cadre de La Belle Saison.