Lorsque Jean-Louis-Grinda indique, avant le début de la représentation dédiée à la presse, que Samson et Dalila n’a pas été donné au Théâtre Antique depuis 1978, cette longue absence paraît difficile à expliquer tant le chef-d’œuvre de Saint-Saëns paraît convenir idéalement à ce lieu d’exception. On redoute en revanche l’avertissement du directeur des Chorégies d’Orange « si un artiste voulait se réserver pour la première de samedi, je suis sûr que vous comprendriez… ». Mais la crainte disparaît rapidement, l’équipe artistique ne s’économisant en rien en prévision de l’unique représentation avec public du 10 juillet.

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Samson et Dalila aux Chorégies d'Orange
© Gromelle

La vastitude du plateau et l’immensité du mur de pierre se prêtent en effet admirablement à l’épisode biblique mis en musique par Saint-Saëns, compositeur dont on marque cette année le centenaire de la disparition. Après avoir mis en scène l’ouvrage à l’Opéra de Monte-Carlo à l’automne 2018, Jean-Louis Grinda reprend son spectacle en y apportant des modifications significatives. Il s’agit en premier lieu des vidéos réalisées par Etienne Guiol et Arnaud Pottier, le plus souvent des images minérales de rochers et temples, mais aussi une nuit étoilée à l’acte II. Un enfant aux ailes lumineuses d’ange guide Samson et sa présence trouve toute sa signification à la fin de l’ouvrage avant que Samson ne détruise le temple (« Vers les piliers de marbre, enfant, guide mes pas ! »). Comme souvent au Théâtre Antique, la mise en mouvement des masses chorales se résume essentiellement aux entrées et sorties des groupes d’Hébreux et de Philistins, avec parfois une sensation de statisme collectif. À la bacchanale très peu agitée et presque sage de l'acte III (chorégraphiée par Eugénie Andrin), on préfère à vrai dire le splendide acte II qui met en scène, avec naturel et passion, les seuls Samson et Dalila.

Car c’est surtout la présence du couple formé par Roberto Alagna et Marie-Nicole Lemieux dans les deux rôles-titres qui crée l’évènement. Dès son entrée en scène, le ténor français déroule une diction absolument prodigieuse associée à une forme vocale resplendissante. Le medium est élégant, les graves nourris et les aigus suffisamment brillants et robustes. Ne serait-ce que pour la clarté du texte, Alagna dans un bon soir paraît inégalable à l’heure actuelle ! Ceci même s’il semble accuser légèrement la fatigue en fin de troisième acte, après un bel air de la meule où il est attaché aux poignets par deux gigantesques chaînes descendant du haut du mur.

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Roberto Alagna (Samson)
© Gromelle

Sa Dalila est à la hauteur, Marie-Nicole Lemieux conduisant sa ligne de chant avec application : son « Printemps qui commence » est lent et langoureux puis « Mon cœur s’ouvre à ta voix » enchaîne sur un pur moment de magie d’opéra. Les deux amants se rejoignent vocalement, rivalisant de douceur dans le timbre et de science du legato, pendant qu’un feu brûle dans un brasero sur scène sur fond de nuit étoilée et ceci sous un ciel estival… un pur bonheur ! Mais la contralto canadienne dispose aussi d’abondantes réserves de puissance, qu’elle utilise par instants. Son mot « Lâche ! » en fin d’acte II est ainsi explosif et en adéquation à la violence des coups de timbale, mais au cours du III, une sonorité proche du cri est sans doute moins en situation.

Le reste de la distribution, francophone également, est de très bonne tenue. Nicolas Cavallier en Grand Prêtre de Dagon fait entendre un timbre au grain autoritaire et au vibrato développé, Julien Véronèse est bien chantant en Abimélech et Nicolas Courjal possède un grave encore plus profond pour interpréter le rôle du Vieillard hébreu. Christophe Berry (un Messager philistin), Marc Larcher (premier Philistin) et Frédéric Caton (deuxième Philistin) sont aussi bien en place dans leurs courtes interventions.

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Marie-Nicole Lemieux (Dalila) et Roberto Alagna (Samson)
© Gromelle

La direction musicale d’Yves Abel, placé à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, ne gâche pas la fête en choisissant de se mettre d’abord au service de la partition et des chanteurs, sans démonstration symphonique excessive. On apprécie cette retenue dans le lâcher de décibels, ce qui n’exclut pas, par contraste, les montées des tuttis qu’on attend dans cette partition. Les chœurs des Opéras de Monte-Carlo et d’Avignon ont été rassemblés pour l’occasion, superbement coordonnés par Stefano Visconti. La cohésion des départs est sans faille, les nuances s’échelonnent sur une large gamme et le chant sonne remarquablement, comme par exemple le chœur féminin qui introduit l’entrée en scène de Dalila.

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