Cela fait un bon moment qu’on attendait le lancement du Festival Ravel à Saint-Jean-de-Luz – presque deux ans, depuis que Bertrand Chamayou, nouveau co-directeur artistique au côté de Jean-François Heisser, nous avait mis l’eau à la bouche en évoquant la fusion de l’académie locale et du festival préexistant. Covid-19 oblige, il a fallu attendre, mais cela en valait la peine : le public a répondu massivement présent en cet été 2021 de reprise de l’activité culturelle, le festival a multiplié les manifestations originales (parades de marionnettes géantes, installation sonore de Philippe Manoury à la Maison Louis XIV) et la concentration d’artistes de haut niveau est impressionnante… dans le programme en général et dans le cadre superbe de l’église Saint-Jean-Baptiste ce vendredi soir en particulier. Tandis qu’un long changement de plateau est en cours dans la croisée du transept, on observe les pianistes Florent Boffard et Emmanuel Strosser prendre leurs marques devant le podium du chef, sous le regard de leurs confrères Heisser et Chamayou assis au premier rang. Et l’on se prend à songer que ces quatre-là suffiraient déjà à constituer un festival digne de ce nom !
Ce soir, Strosser et Boffard ne sont même pas là pour tenir le devant de la scène mais « seulement » pour jouer les parties de piano de la Symphonie de Psaumes de Stravinsky, au beau milieu d’un Orchestre des Champs-Élysées configuré en conséquence – contrebasses à gauche du chef, violoncelles à droite, pléthore d’instruments à vent derrière les claviers. On craignait un peu ce qu’allait donner dans l’acoustique de l’église cette œuvre destinée en premier lieu aux salles de concert – l’écriture, foisonnante et exigeante, passe de la plus grande sècheresse rythmique à une quantité de lignes mélodiques sinueuses et emmêlées. Mais le bois des balcons et du retable doré monumental contribue sans doute à limiter les effets indésirables de réverbération et le résultat sonore n’est pas loin d’être idéal ; seuls les tuttis massifs du premier mouvement paraîtront un peu brouillons.
Le reste est somptueux, à commencer par la longue fugue du second mouvement, parfaitement lisible et parcourue d’un geste inspiré. Les interprètes enchaînent avec un Laudate Dominum pareillement habité. Timbales en tête, les ponctuations de l’orchestre tracent le chemin d’une interprétation inébranlable, les bois soignent bien l’intonation dans cette partition délicate et les cuivres sont brillants sans être pompeux. Placé dans cet écrin idéal, le Collegium Vocale Gent réalise quant à lui une prestation époustouflante, qui met au premier plan le caractère sacré de l’ouvrage sans sacrifier pour autant sa haute précision formelle. Homogénéité et équilibre des pupitres, longueur de souffle, clarté du texte, sopranos aériennes, basses précises, voix intermédiaires charnues : tout y est, dans une œuvre qui pourtant ne ménage pas les chanteurs.
Il faut souligner en outre que les choristes venaient d’interpréter en première partie un Requiem de Fauré déjà remarquable, volant presque la vedette à l’excellent baryton Krešimir Stražanac dans un Libera me poignant, particulièrement incarné. La barre avait pourtant été haut placée dans le Pie Jesu un peu plus tôt, les aigus scintillants et le phrasé infini de Dorothee Mields donnant à la célèbre prière tout son caractère aérien. C’est du côté de l’orchestre qu’il faut trouver la relative déception de cette première partie de soirée : dans la belle version de 1893 privée de pupitres de violons, les cordes ont régulièrement manqué de solidité collective, notamment du côté d’altos trop légers – il est vrai qu’ils étaient étonnamment en sous-effectif par rapport aux violoncelles.
Cela reste cependant accessoire tant on admire la beauté du chœur, qui ne quitte pas des yeux son chef : si Philippe Herreweghe n’est pas le plus précis dans ses indications (ce qui occasionne un Sanctus franchement bancal par endroits), il connaît parfaitement ses chanteurs, sait ce qu’il peut exiger d’eux et sait leur transmettre le feu sacré qui semble lui brûler les mains, tant il s’agite et tremble fiévreusement sur son podium. Ce soir, le maestro pousse parfois le Collegium Vocale à la limite dans les tenues lentes (dès l’Introït) mais sans jamais mettre ses troupes en danger, et le texte vibrera de bout en bout d’une foi contagieuse. Avec des prières aussi intenses, le Festival Ravel est porté sur les fonts baptismaux de la meilleure des manières.
Le voyage de Tristan a été pris en charge par le Festival Ravel.