Les premières notes du seul et unique Quatuor à cordes de Gabriel Fauré retentissent dans l’acoustique généreuse du grand salon des Invalides et, tout à coup, la parenté avec l’« Offertoire » du Requiem saute aux oreilles. En écrivant ce Quatuor qui allait être son ultime partition, le compositeur septuagénaire aurait-il consciemment songé à son chef-d’œuvre sacré qu’il avait qualifié de « berceuse de la mort » ?

Ce soir on est tenté de le croire, car le Quatuor Zaïde joue cela comme une prière, comme un chant qui résonne sous le haut plafond d’un salon transformé instantanément en chapelle. Pour cette œuvre imbibée de contrepoint, c’est plus qu’approprié. Les musiciennes ont l’intelligence d’adapter leur jeu à l’acoustique, de prendre le temps d'articuler les motifs sans presser le tempo, de bien définir les équilibres, privilégiant toujours l’éloquence de la voix principale, les autres se plaçant alors en retrait, à l’écoute du chant. La recette est simple, très bien appliquée d’autant que la clarté de l’harmonie et de l’intonation est toujours soignée – il en ira ainsi tout le long de cet ouvrage très homogène dans le caractère comme dans le matériau.
Avec l’arrivée de Tristan Raës pour le Quintette pour piano et cordes de Louis Vierne, changement de décor : écrit à la fin de la Première Guerre mondiale alors que le compositeur venait de perdre son fils de 17 ans mort au front, l’ouvrage reprend l’esprit d’un Chausson pour son lyrisme intense, et le sens des leitmotive et des effets théâtraux wagnériens.
Ce n’est plus un salon ni une chapelle, c’est une scène d’opéra sur laquelle se joue un condensé de crépuscule des dieux. Les Zaïde font bloc dans la houle des unissons, ne s’économisent pas pour faire face au piano bouillonnant de leur invité. Celui-ci impressionne par son écoute et sa virtuosité mais plus encore par la souplesse d’un jeu qui transmet naturellement la puissance du texte, sans jamais forcer le trait. Du côté du quatuor des archets, il y aura bien quelques imprécisions, mais elles importent peu : le Quintette est de ces œuvres qui nécessitent une prise de risque des interprètes, un engagement sans réserve pour mettre l’auditeur face à l’abîme. Ce soir, nous y sommes.
Avant ce passionnant diptyque Fauré-Vierne, on aura été en revanche moins convaincu par le rare Quatuor op. 8 de Kurt Weill. Question de programmation peut-être, tant l’œuvre n’offrait pas grand-chose à voir avec le reste de la soirée. Question de nature de la partition sans doute aussi, Kurt Weill proposant un patchwork parfois décousu, passant d’un entrelacs de lignes harmoniquement complexes à des effets scherzando secs et francs, avant de conclure soudainement sur un accord majeur qu’on n’avait pas vu venir ! Question d’interprétation enfin, les musiciennes ayant paru peiner à trouver leur chemin, s’appliquant avant tout à ne pas se perdre dans un labyrinthe rendu certes plus touffu encore par l’acoustique. Mais peut-être fallait-il justement passer par ces méandres pour que l’écoute et le jeu s’installent, et permettent d’apprécier pleinement le quatuor fauréen…