Au lendemain de la dernière de Così fan tutte au Théâtre de l’Archevêché, on retrouve sur la scène du Grand Théâtre de Provence les chœurs et l'orchestre Balthasar Neumann, placés sous la direction du chef et violoniste Thomas Hengelbrock, fondateur de ces deux ensembles il y a une trentaine d’années. Dissimulés en fosse pendant l’opéra de Mozart, les choristes Balthasar Neumann sont ce soir bien visibles en fond de plateau pour la Missa solemnis de Beethoven, femmes au premier rang et hommes au second répartis sur toute la largeur. Cet important effectif contribue à l’homogénéité et la beauté du son, aussi bien par pupitres que pour la formation entendue dans son ensemble. Les nuances forte et piano indiquées par le chef sont fidèlement suivies, avec des notes en pianissimo ou piano subito qui enchantent à leur première écoute, mais dont l’usage répété dilue l’effet de surprise par la suite.

Thomas Hengelbrock dirige la <i>Missa solemnis</i> au Festival d'Aix-en-Provence &copy; Vincent Beaume
Thomas Hengelbrock dirige la Missa solemnis au Festival d'Aix-en-Provence
© Vincent Beaume

Se produisant très régulièrement ensemble, le chœur fait corps avec l’orchestre, le chef parvenant à doser les différents volumes pour que chaque artiste puisse s’exprimer dans un certain confort acoustique. On est d’abord surpris à l’écoute des quelques mesures initiales à l’orgue seul, qui n'appartiennent pas à la Missa solemnis et dont le programme de salle ne nous éclairera pas plus. Les musiciens qui jouent sur instruments d’époque produisent ensuite des sonorités bien plus rondes que celles d’un orchestre moderne, moins métalliques, moins agressives à l’oreille, quitte à en atténuer certains contrastes musicaux.

Ce dernier aspect contribue certainement à diminuer le sentiment de grandeur voire religieux de l’interprétation, même si tous les bons ingrédients sont présents, en termes de tempos et de nuances. On se surprend alors à ne jamais se questionner sur la place de l’homme envers Dieu, sans parler de la présence du moindre éventuel souffle divin. Très exposé dans son solo à la fin du Sanctus, le premier violon Pablo Hernán Benedí est un peu à cette image : on entend un magnifique instrument, précis d’intonation et qui ravit l’oreille, mais on ne se sent pas transporté vers le sublime, malgré l'écriture qui atteint des sommets !

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Thomas Hengelbrock dirige la Missa solemnis au Festival d'Aix-en-Provence
© Vincent Beaume

Placé juste derrière l’orchestre, le groupe des quatre solistes est dominé par leur partie féminine, en tête la soprano Liv Redpath, dont la voix aérienne aux aigus cristallins exerce un charme immédiat et qu’on imagine idéalement en Fidelio ou dans la Neuvième Symphonie. C’est elle qui contribue à vrai dire à l’angélisme de certains instants, lorsque sa voix plane sur l’ensemble, comme en dernière partie de l’Agnus Dei. La mezzo Fleur Barron fait aussi une belle impression, par son timbre sombre et riche, capable d’une vigoureuse projection.

Le ténor Julian Prégardien est tout à fait en situation dans ses premières douces interventions, mais l’instrument perd sensiblement en qualité de moelleux lorsqu’il doit pousser dans le forte. Remplaçant Jean Teitgen initialement programmé, la basse Brindley Sherratt, distribuée parallèlement au festival dans Wozzeck d’Alban Berg, est richement timbrée dans le grave, mais se montre un peu monolithique et limitée en abattage dans les rares passages d’élocution rapide.

Jusqu'au bout, on aura assisté à une belle exécution orchestrale et vocale, bien réglée techniquement, avec par exemple des départs en canon très précis à la fin du Gloria, mais en somme pas forcément divinement exquise.

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