Le Théâtre des Bouffes du Nord accueille Bach the Minimalist, spectacle visuel et sonore orchestré par Simon-Pierre Bestion dans une ambiance boîte de nuit où s’illustrent le claveciniste Louis-Noël Bestion de Camboulas et la Compagnie La Tempête. Cet ensemble vocal et instrumental a l'habitude de porter des projets immersifs où la forme même du concert est questionnée, réinventée... Cette production ne déroge pas à la règle.
Une mise en espace avec mapping vidéo, un public installé dans la pénombre autour d’un programme d’1h20 de musique filé d’une traite à la manière d’un DJ set : aucune hésitation n’est possible sur l’intention artistique de Simon-Pierre Bestion, à l’origine de ce spectacle qui met à l’honneur la grande modernité (faut-il encore en douter ?) de l’écriture du cantor de Leipzig à travers ses échos dans la musique minimaliste, depuis John Adams jusqu’à la musique actuelle sous ses formes plurielles (variété, électronique).
Le dispositif est louable à plus d’un titre. Le programme invite aux correspondances en alternant des pièces de Bach avec des opus du XXe siècle. Le choix de les enchaîner sans pause participe de l’immersion et de l’impression qu’une grande œuvre est jouée. L’installation visuelle, quant à elle, prolonge l’expérience musicale et lui fait écho avec des effets fort agréables à l’œil qui rendent bien compte du répertoire représenté : arabesques qui se développent et se propagent (réminiscences de la Symphonie diagonale d’Eggeling), grilles de lumière subissant des vibrations, motifs aquatiques (vagues, remous). Cette formule judicieuse est un apport supplémentaire à l’expérience d’écoute – même si on est parfois tenté de penser le contraire, quelques effets « gadget » rendant l’immersion sonore moins immédiate.
La Compagnie La Tempête évolue pour l'occasion au côté de Louis-Noël Bestion de Camboulas au clavecin. L’installation de l’instrument en fond de scène rend certes les premiers instants du spectacle éblouissants avec des motifs de Steve Reich (Piano phase) joués à quatre mains en pleine obscurité, mais se trouve parfois compromettante dès lors que le clavier est accompagné. Le premier mouvement du Concerto en ré mineur de Bach, pièce fondamentale autour de laquelle le programme est construit, trouve ainsi chez le soliste un jeu inaltérable (belle cadence dans l’esprit d’une toccata), malgré des archets relativement timides et relâchés, trop peu incisifs. Engagé un peu plus tard, le troisième mouvement montrera l’allant nécessaire dans l’effectif, au risque de faire davantage briller le caractère percussif du clavecin, au détriment de ses lignes mélodiques.
L’installation ne favorise également pas les échanges entre les pupitres, et la battue souvent limpide du chef, privilégiant la clarté de l’appui rythmique sur les broderies, n’empêche pas des frottements de notes décalées que l’écriture répétitive parfois clinique ne pardonne pas. La Passacaille en ut mineur de Bach, originairement pour orgue mais transcrite pour l’ensemble par Simon-Pierre Bestion, est particulièrement soignée. Outre une réalisation remarquable, presque concertante, qui met en exergue les reprises plurielles du thème principal, le jeu est minutieux, initié par des violoncelles qui donnent le la de l’impulsion générale.
À défaut de porter l’exactitude rythmique aux nuées, l’ensemble se montre expert dans la création de textures. À ce titre, le deuxième mouvement des Shaker Loops de John Adams est le temps fort du concert : alors que les bouillonnements aquatiques émergent peu à peu en vidéo, les cordes font entendre une à une des gazouillis légers dont la spatialisation corrobore la beauté, avant de s’assembler et faire naître des superpositions de timbres bouleversantes.
Et les musiciens de montrer qu’ils n’ont pas seulement quatre cordes à leur arc en entonnant l’hymne Immortal Bach de Knut Nystedt, d’abord à tue-tête puis à pleine voix, avec ce même sens du relief qui fait oublier des attaques parfois approximatives. Le Final Shaking de John Adams referme ce grand opus avec un ensemble dont les attaques millimétrées et répétées installent petit à petit un effet de transe collective très réussi, jusqu'à la direction de Simon-Pierre Bastion : le maestro marque les temps forts presque compulsivement en des gestes qui gagnent le corps entier.
Une expérimentation originale et pertinente de la Compagnie La Tempête, qui ne peut que rendre curieux de formats spectaculaires analogues autour d’autres compositeurs que celui ici célébré.