Ce soir dans la Halle aux grains, l’entame du Concerto pour piano n° 24 de Mozart est magique : en quelques mesures, les douze sons de la gamme chromatique défilent devant nos oreilles dans une mélodie sinueuse que l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, nerveusement dramatique, lance bien. Le contraste est parfait avec l’entrée d’Adam Laloum, d’une extrême douceur. Refusant tout pathos et ne poussant jamais son piano, il conservera une approche sobre et élégante tout au long de l'ouvrage, souvent dans des nuances pianissimo qui hélas le rendront régulièrement inaudible sous un orchestre qui s’épaissit. Aussi on dresse l’oreille pour la cadence du premier mouvement qui, par son expressivité et ses accents lyriques nous fait glisser du côté d’un romantisme beethovénien, assumé sans excès cependant.
Le bis sans orchestre nous permettra de mieux profiter d'un vrai moment de grâce pianistique : dans le deuxième des Moments musicaux D.780 de Schubert, Adam Laloum joue des contrastes, assumant crânement la fermeté du rythme pointé et le lyrisme de la mélodie qui se déploie en alternance.
Entretemps, le « Larghetto » central du concerto aura mis en avant les bois de l'orchestre. Pris individuellement, chacun d'entre eux est une merveille. Ils prennent un plaisir visible à jouer ensemble et, à eux tous, ils nous offrent un son naturel et soyeux. Mais cet ensemble donne aussi l’impression de ne pas être ajusté au concerto : on ressent une inversion du vedettariat, où le soliste disparait sous l’orchestre. Sans doute le chef n’y est-il pas pour rien dans cette mauvaise gestion des équilibres : Frank Beermann ne regarde presque jamais le pianiste.

Le chef allemand n'est pas un inconnu à Toulouse : il a dirigé de nombreux opéras au Capitole. L'ONCT et lui se connaissent. Pourquoi donc avoir fait aujourd’hui le choix de modifier la disposition habituelle des musiciens, plaçant les seconds violons à cour face aux premiers violons, les contrebasses venant derrière les premiers ? Cette disposition « à la viennoise » est certes cohérente avec le programme du jour. Mais pendant toute la soirée et plus particulièrement dans la Symphonie n° 4 de Bruckner, les musiciens sembleront en manque de repères, les premiers violons et les cornistes notamment multipliant les erreurs, loin de leur niveau habituel.
Dans cette symphonie très cathédralesque du compositeur catholique, les pierres de l’édifice sont bien présentes, les blocs mélodiques sont exposés avec clarté, mais il manque le ciment, le liant qui donne sa logique à l’ensemble, qui unit chaque idée musicale à l’autre. C’est particulièrement frappant dans le quatrième mouvement au matériau thématique si riche, où les épisodes s’enchaînent sans la couture nécessaire. On en perd le fil…
Avant cela, le quintette à cordes s’est montré particulièrement éloquent dans la belle histoire sacrée de l’« Andante », les cuivres ont magnifiquement tenu l’articulation serrée qui caractérise le tableau de chasse du scherzo. Mais l’on cherchera en vain les grands effrois du dernier mouvement, qui sera davantage tonitruant que dramatique. Le dernier accord claque, et puis on se retrouve sur le trottoir, dans la douce tiédeur d’un automne toulousain, avec l’impression d’un rendez-vous manqué.