À la Biennale de quatuors à cordes de la Philharmonie de Paris, il y a les jeunes premiers et les monstres sacrés : le Quatuor Jérusalem fait incontestablement partie de la seconde catégorie. Et si la bonhomie des quatuor et sextuor d'Antonín Dvořák, compositeur à l’honneur de cette édition, n’est peut-être pas ce qui sied le mieux à leur jeu toujours exalté, leur interprétation n’en demeure pas moins passionnante !
Le concert s’ouvre sur un monument du répertoire pour quatuor : le Quatuor n° 12, « Américain ». Ce soir, l’œuvre n’a guère les allures de musique folklorique ou d’airs de gospel qu’on lui prête parfois, car la lecture des Jérusalem met avant tout en avant son exubérance : le jeu des quatre musiciens est d’une brillance absolument homogène – même les pizzicati du violoncelle sont extrêmement sonores ! L’Allegro ma non troppo est mené tambour battant, avec une sorte d’impatience, un vibrato emporté et des attaques nerveuses. Même dans les passages les plus doux, les rythmes sont serrés au maximum – au point qu'on aimerait parfois un peu plus de simplicité, dans le chant du premier violon par exemple, toujours raffiné.
Le Lento est tout aussi à fleur de peau : le thème plaintif du violoncelle est ici très vibré, le son plus tendu que contemplatif. Les quatre musiciens rivalisent d'ingéniosité pour proposer de vrais contrastes, avec des reprises de thème en demi-teinte, sur la touche, parachevées par de délicats ritenuto. Les deux derniers mouvements sont plus légers : les dialogues joueurs du Molto vivace ont un piquant incomparable ; les rythmes du finale sont incroyablement dansants, là aussi grâce au mordant des attaques et à la capacité d’impulsion des pizzicati du violoncelle. Qu’il s’agisse des accompagnements ou des contrechants secondaires, les Jérusalem ne reculent devant aucun soufflet, artifice d’archet ou changement de nuance pour donner du relief. Ils en font des tonnes, mais ils le font si bien !
Après cette spectaculaire première partie, le Sextuor apparaît d’abord presque terne : son premier thème, plus intérieur que dansant, le rend forcément moins enthousiasmant. Et ce, d’autant plus que le quatuor semble comme alourdi par la présence de deux musiciens supplémentaires – l’altiste Miguel da Silva et le violoncelliste Gary Hoffman. Mais progressivement, l’association prend tout son sens : les six instrumentistes communiquent à la perfection pour exacerber les contrastes de nuances, mais aussi pour ajuster les équilibres afin de faire ressortir au mieux chaque motif mélodique. Surtout, ils partagent un son extrêmement puissant et un tonus impressionnant, qui leur permettent de tirer le maximum des passages plus explosifs : les tuttis de l’Allegro moderato bien sûr, mais aussi le jubilatoire Furiant, dont le côté dansant est renforcé par des attaques toujours percutantes, et le côté festif par des crescendos brusques et surprenants.
L’exubérance n’est cependant pas systématique tout au long de l’œuvre : à l’inverse, la Dumka est ici particulièrement douce ; son caractère alangui est accentué par une abondance de vibrato et de glissades, au point de lui donner un côté presque décadent. Les variations du finale présentent également une juxtaposition de climats variés : la troisième variation, qui met en avant le violoncelle, a des allures de lamentation ; les variations 4 et 5, plus aériennes, sont l’occasion d’observer une grande délicatesse dans la mise en avant des petites inflexions de la phrase. Tout cela n’empêche pas une conclusion en fanfare, toute en consonnes et en rythmes surpointés. On ne peut s’empêcher de regretter que le public, pourtant enthousiaste, soit aussi clairsemé : par les temps qui courent, c’est assurément cette joie sans mélange que l’on a envie d’entendre !