On gardait un très beau souvenir d’Irina Lungu, qu'on avait entendue dans le rôle-titre de La Traviata pour la dernière fois au Festival d’Aix-en-Provence en 2011 ; elle y alternait alors avec Natalie Dessay. Treize ans plus tard, pour la nouvelle production de l'œuvre de Verdi à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège, la chanteuse semble avoir perdu malheureusement beaucoup de ses moyens et se retrouve régulièrement en grande difficulté technique, entre volume trop discret dans la moitié inférieure du registre et petites pertes de contrôle de la ligne vocale. C’est le premier acte qui met le plus en évidence ces problèmes, avec sa grande scène « E strano (…) Sempre libera », tandis que les deux suivants correspondent davantage aux fragilités et aux fêlures du personnage. Le troisième acte met ainsi en adéquation les instabilités de l’instrument avec l’état de la malade condamnée, renforçant l’émotion dégagée.

<i>La Traviata</i> à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège &copy; ORW-Liège / J.Berger
La Traviata à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
© ORW-Liège / J.Berger

Connu jusqu’à présent surtout dans le répertoire rossinien, le ténor Dmitry Korchak compose face à elle un Alfredo Germont d’une grande puissance, n’hésitant pas à pousser ses aigus à la limite d’un début de graillonnement en fin de deuxième acte. Passé son premier air « Un dì, felice, eterea » à l’intonation approximative, l’interprète se révèle très investi, comme au début du deuxième acte où il allège certaines notes en mezza voce sur « De' miei bollenti spiriti », contrastant avec la bouillonnante cabalette qui suit et conclue par un aigu long et brillant. Le Giorgio Germont de Simone Piazzola se montre moins démonstratif, baryton fiable qui nous semble avoir besoin d’un petit temps de montée en puissance pour s’épanouir au mieux. On le retrouve ainsi à son meilleur dans l’air « Di Provenza il mar, il suol » qui conclut la première scène de l'acte II, variant les nuances entre quasi-chuchotement et voix à pleine ampleur.

Les rôles plus secondaires complètent très dignement l'ensemble, tandis que la direction musicale de Giampaolo Bisanti assure une animation dynamique, tout en veillant à la cohésion du plateau, choristes et solistes compris. Dès le prélude, la lecture du chef appuie davantage quelques mesures, mettant d’emblée en exergue le drame à venir. On apprécie aussi le relief qu’il dessine au deuxième acte pendant la rencontre entre Violetta et Germont, ralentissant certains tempos et donnant plus de puissance à d’autres passages.

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La Traviata à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
© ORW-Liège / J.Berger

La nouvelle production est confiée à Thaddeus Strassberger pour la mise en scène, les décors et lumières. Dès avant l’opéra, le rideau se lève sur un spectacle façon music-hall, où Flora interprète une chanson sur le grand escalier central, accompagnée au piano. Des danseuses et danseurs agitent des plumes derrière elle, puis interprètent une chorégraphie pendant que Violetta attend d'entrer en scène. Le décor, avec ses loges entre des colonnes, prolonge la salle de l’Opéra Royal et cette idée du théâtre dans le théâtre, maintes fois proposée toutefois, pourrait s’avérer bienvenue. Mais les temps morts après cette scène liminaire, entre changement de décors, accord de l’orchestre et attente du chef, nous font vite oublier toute éventuelle connexion avec l’opéra.

Le même décor chez Violetta servira la fête chez Flora à l'acte II, avant une scénographie complètement déstructurée pour l’acte final, lustre à terre et Violetta qui tend à Alfredo l’affiche du spectacle initial sur « Prendi, quest'è l'immagine »… On ne peut s’empêcher de sourire, même si l’instant est bouleversant ! Avant cela, le décor de la première scène de l'acte II était radicalement différent, soit une image d’un pavillon américain des années 1960, cuisine en formica à gauche et salon à cheminée à droite. Là aussi, malgré l’originalité, on pourrait penser que la mise en scène tourne l’ouvrage en ridicule : Alfredo s’essaie au swing avec son club de golf, des femmes papotent en poussant un landau, Germont vient rendre visite accompagné de sa fille. La présence de ces personnages finit par embarrasser… et pourquoi donc Violetta indique « Dite alla giovine » à Germont, alors qu’elle pourrait parler directement à la jeune fille qui feuillette un magazine, assise à quelques mètres au salon ?

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La Traviata à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
© ORW-Liège / J.Berger

Au vu de l'utilisation des paillettes et strass pour les costumes, le spectacle essaie d'en mettre plein les yeux, mais il fait surtout perdre significativement la dimension dramatique de l’œuvre verdienne.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Royal de Wallonie-Liège.

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