Et vint l'heure de la finale. Auparavant, les 12, 13 et 14 novembre, le jury du Concours International de Piano Istanbul Orchestra'Sion avait sélectionné douze pianistes parmi la grosse trentaine de candidats et de candidates venus d'une quinzaine de pays dont Turquie, Japon, Chine, Corée, France, Ukraine, Russie, Italie ou encore Suède ; deux jours de plus furent nécessaires pour en retenir six ; une longue journée suffira pour n'en garder que trois pour la finale avec orchestre qui s'est tenue le 18 novembre dans la grande salle de concerts « CRR » d'Istanbul, du nom du compositeur Cemal Reşit Rey, repéré en son temps par Gabriel Fauré et dont une œuvre était imposée lors de la finale – Pèlerinages dans la ville qui n'est plus que souvenir, belle pièce atmosphérique écrite en 1940-1941.

Seong-Hyeon Leem, premier prix © Yasemin Şahan
Seong-Hyeon Leem, premier prix
© Yasemin Şahan

Avons-nous des regrets ? Oui, deux candidates éliminées que nous aurions aimé entendre davantage. L'Ukrainienne Maria Narodytska a joué de façon assez impressionnante le Prélude et fugue en sol mineur du second livre du Clavier bien tempéré de Bach et Gretchen am Spinnrade et Erlkönig, deux transcriptions par Liszt de lieder de Schubert. L'Italienne Laura Licinio ne se sera pas vu pardonner des petits pépins sans gravité dans la Sonate op. 109 de Beethoven et les Variations sérieuses de Mendelssohn. Pour autant il ne saurait être question de mettre en doute la qualité des trois finalistes : ils méritaient chacun d'avoir été sélectionnés par un jury réuni par le Lycée français Notre-Dame de Sion. Présidé par Jean-Yves Clément, ce jury rassemblait les Turcs Gülsin Onay et Toros Can, l'Italien Antonio di Cristofano, la Belgo-mexicaine Eliane Reyes, les Français Olivier Moulin et Pierre Reach, Franck Ciup étant lui consultant de ce Concours soutenu par le Consulat général de France.

Alors cette finale ? Premier à entrer en lice, Nikolay Biryukov, 14 ans, venu de Moscou où il est élève de l'École centrale. Il a choisi le Concerto de Robert Schumann. Bonne pioche : il le joue avec cet équilibre souverain entre présence poétique et jeu dominé. Peut-être est-il un peu trop léger dans le deuxième mouvement qui est si difficile à incarner, mais son premier mouvement inspiré en chaque intervention, très à l'écoute de l'orchestre a culminé dans une cadence enlevée avec détermination et inspiration, tout comme le finale que le jeune homme a su construire et mener à sa conclusion exaltante jouée avec flamme. Il était fort bien accompagné par Orchestra'Sion dirigé par Orçun Orçunsel de façon attentive au soliste.

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Nikolay Biryukov, troisième prix
© Yasemin Şahan

Son jeune âge a dû lui coûter quelques points, car il a reçu le troisième prix qu'on aurait préféré voir donner à la Japonaise Seika Ishida, 25 ans, qui lui succédait. Celle-ci a choisi le Concerto en ré mineur KV 466 de Mozart. Mauvais choix, car elle l'a joué sans aucun sens tragique, avec une main droite dessinant des phrases aussi jolies que peu incrustées dans le clavier. Elle a un très joli jeu, une virtuosité certaine, mais sa façon de couper les phrases et de concevoir ses prises de parole de façon un peu stéréotypées – « c'est à moi de parler » –, sans vraiment écouter l'orchestre étaient étranges de la part d'une candidate qui avait donné, entre autres pièces bien jouées, une magnifique Polonaise-Fantaisie de Chopin, une œuvre du répertoire parmi les plus difficiles qui soient.

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Seika Ishida, deuxième prix
© Yasemin Şahan

Le premier prix est donc allé à la Coréenne de Salzbourg Seong-Hyeon Leem, 30 ans. Non que son Concerto en ut majeur KV 467 de Mozart ait été exemplaire, car elle aussi a une conception un peu décorative d'une musique qu'elle joue sans cette tension et cette allure jupitériennes que l'on attend dans cette œuvre, mais son jeu est dominé, et très bien soutenu par l'orchestre et le chef. On est un peu déçu, mais l'on n'oublie pas ses épreuves couronnées par des Fantaisies op. 116 de Brahms drues, vivantes, jouées sans traîner, avec l'engagement expressif attendu en chacune d'elles, par un Liebesfreud de Kreisler (arrangé par Rachmaninov) rendu avec un sens admirable du rebond rythmique et une grande allure pianistique. Et comment oublier sa Deuxième Sonate de Rachmaninov : elle la débarrasse de ces duretés, de ce mauvais goût, de ces facilités de pseudo-virtuose qu'elle remplace par élégance, intelligence, beauté pianistique.