Week-end de premières au Kulturpalast de Dresde : après le premier concert officiel de Sir Donald Runnicles en tant que directeur musical de l'orchestre de la salle, c’est au tour de Víkingur Ólafsson de faire ses débuts dans la capitale saxonne. Ce déplacement s’inscrit dans une tournée du pianiste qui le fait parcourir l’Allemagne avec le programme de son dernier disque, « Opus 109 ». Le pianiste y propose une exploration des tonalités de mi (mineur et majeur) chez Bach, Beethoven et Schubert, entre œuvres marquantes et pièces oubliées.

Ólafsson interprète son récital sans pause, plongeant l’auditeur dans un jeu de correspondances convaincant bien que parfois un peu trop rapidement enchaîné. Le neuvième prélude du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach ouvre le récital de manière étrange. Le musicien fait montre d’une intéressante variété d'articulations, mais se permet des aménagements rythmiques étonnants pour mettre en avant certains motifs, ce qui finit par briser la dynamique du contrepoint.
Au cœur du programme, la Partita n° 6 du même compositeur sera dans l’ensemble plus convaincante. Certains mouvements sont légèrement déconcertants par leur tempo trop vif : si Ólafsson joue bien toute les notes – et sans difficulté, grâce à une technique qui force le respect –, les traits se mélangent dans l’oreille malgré l’économie de pédale dans la « Courante » et la « Gigue ». On retrouve momentanément cette sensation de déséquilibre quand le pianiste choisit de forcer le trait en mettant la main gauche en avant, trop ostensiblement. Mais malgré ces réserves, l’artiste islandais réussit à nous emmener dans chaque mouvement, nous faisant chaque fois oublier les numéros précédents grâce à une éloquence rare. Ainsi la « Toccata », et plus encore la deuxième partie de la « Sarabande » sont des moments de grâce, avec une variété de couleurs captivante dans la nuance piano.
Dans Schubert, Ólafsson oublie ces quelques affèteries de mise en relief exagérée et obtient un résultat abouti. La Sonate n° 6 est fluide sous ses doigts alertes. Le pianiste continue de varier les attaques avec justesse et rend parfaitement la dualité du premier mouvement, au cours duquel quelques passages guillerets émergent d’un climat angoissé. L’« Allegretto » se transforme ensuite en véritable lied, à nouveau très réussi par un musicien qui énonce clairement la richesse polyphonique du mouvement malgré son tempo allant.
L’interprétation de la très schubertienne Sonate n° 27 de Beethoven, jouée immédiatement après le premier prélude, augurait de ce succès. Ólafsson y a montré son art du contraste au cours du premier mouvement. Sa manière de délivrer les accords sans concession, la précision et la direction des voix d’accompagnement font merveille. La deuxième partie de l’œuvre confirme déjà l’art du chant d’un pianiste qui donne envie de l’entendre dans des cycles de lieder.
Pour finir, le fameux opus 109 – la Sonate n° 30 de Beethoven – se révèle ambivalent. Les deux premiers mouvements sont particulièrement réussis. Le premier émerge comme une hésitation, gagnant en présence et en intensité à travers un discours au rubato magistral. Le « Prestissimo » est une fuite en avant à la limite de la précipitation, mais son urgence implacable emporte tout sur son passage.
Le thème et variations conclusif ne sera hélas pas à la hauteur de ces sommets. L’énoncé du thème s’enlise dans un ralenti infini, alourdi par une volonté de souligner la profondeur des accords, avant que la première variation ne pèche par le prosaïsme d’une main droite qui martèle la voix supérieure. Les passages teneramente de la deuxième subissent le même traitement : au lieu de se déployer, d’émaner de l’instrument, ils sont plaqués par le pianiste qui réduit considérablement la puissance métaphysique qui devrait s’en dégager. On touche ici à une caractéristique qui aura parcouru tout le récital : si Ólafsson sait varier les piano, son forte est prisonnier d’une seule identité, caractérisée par une certaine rudesse.
Le programme du disque est suivi à la lettre puisque le premier bis offert par l’artiste est la « Sarabande » de la Suite française n° 6 de Bach, seul numéro manquant au récital. Il marque un retour vers la puissance évocatrice d’Ólafsson dans les nuances murmurées de l’instrument. Un moment d’éternité brisé par un percussif Rappel des oiseaux de Rameau, certes virtuose et en mi majeur, mais étrangement en décalage avec le cheminement accompli.

