Quatrième du cycle « Mélodies populaires » proposé par l’Académie de l’Opéra de Paris, cette soirée avait de quoi enchanter en perspective : Glinka, Rachmaninov, Rubinstein et, moins connu, Alexandre Aliabiev (1787-1851) étaient réunis autour de mélodies et d’airs d’opéras de Rimski-Korsakov, dont La Fille de neige figure au programme de l’Opéra ce mois d’avril.

On retrouve avec plaisir les jeunes musiciens en résidence déjà entendus dans les éditions précédentes. Première hirondelle de ce printemps qui parlera autant de neige que de roses et de rossignols, Pauline Texier possède un joli soprano, plus élancé qu’incarné pourtant, dont les aigus auront à gagner en brillant. C’est par l’humour qu’elle retient le mieux le public dans Le Rossignol d’Aliabiev, où la plainte de la jeune fille malheureuse, interprétée avec une distance un brin narquoise, sait attirer le sourire, entre deux envolées dans le registre colorature à l’imitation d’un rossignol malicieux. Le piano de Federico Tibone, sur le fil, dénudé mais jamais dépourvu de musique, offre de belles irisations dans Les Lilas, Op. 21 no.5 de Rachmaninov. Le baryton-basse Mateusz Hoedt, présence bien plantée en scène dans un répertoire plus martial, déploie des accents patriotiques à la Tolstoï avec « Les Deux Géants » de Lermontov, allégorie de la victoire russe sur Napoléon. Il déçoit cependant par le manque d’ouverture de la voix, qui semble peiner à se libérer, et un rien d’uniformité dans ce difficile exercice de la mélodie qui exige du chanteur de changer d’âme aussi souvent que de sujet. C’est dommage car la Chanson du marchand Varègue extraite de Sadko sait offrir un crescendo final en force : on aurait aimé davantage de ces moments. Dans l’air du Démon tiré de l’opéra éponyme d’Anton Rubinstein, on apprécie la poignée de pianissimi salvateurs, auxquels collabore finement Yoan Héreau au piano, qui adoucissent l’ensemble.

Au centre du programme, comme la floraison d’un printemps joyeux, le Grand Sextuor avec piano en mi bémol majeur de Mikhaïl Glinka, composé en 1832 dans un style bien moins russe qu’occidental. Avec sa légèreté d’esprit, l’œuvre trouve place à merveille dans le programme. Le quintette à cordes est féminin ; le pianiste Ben-San Lau l’accompagne avec un talent qui va se confirmant dans la suite de la soirée. En dialogue avec le quintette, c’est le piano qui entraîne le discours musical dès le tourbillon enjoué du premier mouvement, un Allegro méritant bien son nom ; lui encore qui prend la clef des champs à la fin du mouvement, s’offrant deux échappées belles en virtuosité. Si l’on peut regretter une homogénéité parfois défaillante dans la trame des imitations ou la timidité du violoncelle, le violon de Hanna Zribi, délicat, un rien étouffé, énonce non sans poésie le premier thème. La belle sérénade dans l’esprit d’une barcarolle qu’est l’Andante ouvre sur un pétillant Finale allegro con spirito, qui fait entendre au détour d’un thème les accents les plus russes de l’œuvre, dans sa rythmique de danse populaire sur pédale, dans les pizzicatos du quintette en tutti. D’un même élan jusqu’au più mosso final, les jeunes musiciens servent avec sincérité le père de l’école russe.

La suite du programme incluait plusieurs mélodies de Rachmaninov : Oh, ne sois pas triste, Op.14 no.8 et Les champs sont encore couverts de neige, Op.14 no.11 ; La nuit est triste, Op.26 no.12. Accompagnée par Thibaud Epp, la soprano serbe Sofija Petrovic les interprète avec un engagement qui passe aussi par une attitude expansive, méditerranéenne, parfois agitée, des médiums vibrants aux émotions variées : « Le printemps arrive ! », sur un cri puis un souffle. Pour notre plus grand bonheur, il revient à la mezzo-soprano Emanuela Pascu accompagnée de Ben-San Lau de clore le récital. C’est à elle qu’il faut rendre les armes. On se souvient de ses très beaux Wesendonck Lieder lors d’une précédente soirée du cycle ; elle offre ici trois mélodies de Rimski-Korsakov. Dès l’amoureux Chant hébreu, Op.7 no.2, sur un poème de Lev Aleksandrovitch Mey d’après le Cantique des Cantiques, le souffle, le legato, la richesse du timbre et l’homogénéité entre les différents registres subjuguent. Le répertoire semble taillé pour elle. L’opulence de la voix et l’engagement expressif remarquables viennent habiter et donnent leurs pleines couleurs russes, vivantes, à la Berceuse, Op.2 no.3 dans sa douceur de rengaine, aussi bien qu’à Un sapin solitaire s’élève, Op.3 no.1 dans son hiératisme. Le déchirant air d’adieu de la bergère Jeanne à son pays, tiré de La Pucelle d’Orléans de Piotr Ilitch Tchaïkovski, couronne le récital sans qu’on en perde une note, et permet à la mezzo de faire miroiter quelques promesses d’opéra à l’avenir. On aura plaisir à suivre les prochains pas sur scène d’Emanuela Pascu, une belle découverte.

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