Au grand dam des Lyonnais qui peuplent la rive est du Rhône, la capitale des Gaules semble en travaux depuis des lustres. Il faut suivre un labyrinthe de rues et de passerelles jonchées de barrières pour s’extraire de la gare de Part-Dieu, se rapprocher du fameux « Crayon » et découvrir tout à coup, comme garé au pied de celui-ci, un étonnant vaisseau spatial de béton : bienvenue à l’Auditorium de Lyon.

Le bâtiment qui a fêté ses cinquante ans cette année n’a pas échappé aux travaux de rénovation : depuis 2023, sa grande salle, qui peut accueillir plus de 2000 spectateurs, est dotée de panneaux acoustiques qui facilitent l’écoute des musiciens sur le vaste espace scénique comme celle du public. Le résultat est plus que convaincant : tout au long de l’abondant programme symphonique proposé cette semaine par l’Orchestre national de Lyon, on se délectera de la qualité du rendu sonore, particulièrement du côté des cuivres et des bois placés sur des gradins qui les favorisent par rapport aux cordes en contrebas.
Si l’écrin est très beau, il est à la hauteur du mérite des musiciens : dès l’Ouverture pour orchestre de Grażyna Bacewicz, on est frappé par la virtuosité des cordes, menées par l’archet énergique et fédérateur de Jennifer Gilbert au violon solo ; les bois vont bientôt se mettre également en évidence, par leur écoute, leur souplesse et leur homogénéité, faisant émerger leurs solos de l'ensemble avec naturel, sans effet de manche inutile. C’est d’ailleurs toute la formation qui fait preuve d’une très belle qualité d’écoute : tous les alliages de timbres subtils de la Deuxième Symphonie d’Alexandre Tansman interprétée peu après font l’objet d’un très beau jeu collectif – y compris dans les mariages les plus improbables, quand la trompette avec sourdine se joint au piccolo…
Programmer cette Deuxième de Tansman est une belle idée : certes, l’œuvre s’inscrit parfaitement dans la thématique de la saison lyonnaise qui met à l’honneur la Pologne, mais la partition aurait sa place à l’affiche d’une institution de l’Hexagone indépendamment de cela. Son auteur est venu vivre durablement en France après sa thèse, et il fraternisera avec tous les compositeurs en vue à Paris (Ravel, Milhaud, Honegger, Schmitt…) au point de devenir l’un d’eux.
Donnée en 1927 à Paris peu après sa création à Boston, sa Deuxième Symphonie est dotée d’un superbe diptyque central, le mouvement lent ayant des résonances très ravélo-mozartiennes avant un scherzo tout en dentelle. L’ONL se montre particulièrement inspiré dans ces deux mouvements, plus appliqué dans les deux mouvements extrêmes qui sont intrinsèquement moins réussis – la partition ressemble parfois à un exercice où le compositeur se sent obligé d’utiliser l’effectif pléthorique à sa disposition, au risque de la surcharge. À la baguette, Nikolaj Szeps-Znaider déjoue les pièges de cette œuvre pas facile, attentif à tous et au souffle de l’ensemble, sans en rajouter.
On aurait aimé qu’il en rajoute en seconde partie, un Harold en Italie qui restera dans les mémoires avant tout pour la prestation de son soliste, l’éternel Antoine Tamestit. L’altiste l’avait écrit dans nos colonnes il y a six ans : Harold est un rôle qu’il s’est approprié en y ajoutant une véritable mise en scène, à l’image du parcours tissé par Berlioz dans cette œuvre. La grande scène de l’Auditorium de Lyon est parfaite pour permettre au soliste d’entrer discrètement en observant le paysage de l’orchestre en action, de venir commenter la procession des pèlerins du deuxième mouvement au fond des seconds violons, de sursauter aux assauts des brigands au début du finale…
Tamestit incarne de manière troublante un Harold-Berlioz plus vrai que nature, sa sonorité de rêve transmettant tout un monde de poésie et d’images au moindre coup d’archet. À ses côtés, l’orchestre et son directeur musical sont efficaces mais manquent de panache et de théâtralité, s’enlisant régulièrement dans des tempos trop pesants pour transmettre la fièvre berliozienne. Les pèlerins chantant leur prière, le montagnard entonnant sa sérénade et les brigands féroces ont paru quelque peu fatigués… Mais il est vrai qu’après l’intense première partie de concert polonaise, les musiciens commençaient à avoir des kilomètres au compteur ; on leur pardonnera sans peine. L’inépuisable Tamestit fera aussitôt oublier ces réserves en bis, dédiant un superbe « Prélude » de la Première Suite de Bach aux jeunes altistes rencontrés le matin même. Grande classe.
Le déplacement de Tristan a été pris en charge par l'Auditorium-Orchestre national de Lyon.

