C’est à Saint-Roch, vaste nef de la capitale parisienne que Vox Luminis a entamé une tournée consacrée à la Passion selon saint Jean, œuvre que Johann Sebastian Bach composa lors de sa première année de cantorat à Leipzig. On pouvait douter de la pertinence du lieu : une réverbération généreuse ne fait généralement pas bon ménage avec un contrepoint complexe. Pourtant les miracles de la foi secondés par une technique redoutable peuvent contredire les lois de l’acoustique. De la pointe de son archet, Pablo Valetti a conduit sobrement un Café Zimmermann en formation réduite mais aux fortes individualités, le violoncelle très engagé de Petr Skalka s’opposant à la viole diaphane d’Étienne Mangot – par ailleurs expert dans l’art d’harmoniser les récits consacrés à Jésus. La main sûre de Shizuko Noiri a prolongé à l’archiluth les harmonies de l’orgue d’une Céline Frisch très à son affaire.

Après un départ épineux où les cordes se disputent le choix de la pulsation avec les vents, l’entrée du chœur produit l’effet d’un baume unificateur : la richesse harmonique des voix impose très vite la juste énergie, les courbes les plus appropriées à la signature sonore du lieu, et surtout une couleur d’ensemble subtilement fondue avec le groupe des anches et des flûtes. En s’éloignant nettement d’une théâtralité si souvent appliquée à la saint Jean, où le premier degré d’une rhétorique routinière exacerbe l’accent et la cellule rythmique, Vox Luminis phrase loin, structure des plans sonores d’une beauté inouïe et magnifie la puissance du verbe par un traitement des voyelles extrêmement abouti. Cette cohésion remarquable est d’autant plus étonnante que Lionel Meunier, chef attitré de l’ensemble, ne communique pratiquement aucune information, excepté un occasionnel hochement de tête, et reste la plupart du temps modestement assis au centre de sa formation.

Contrastant avec des chorals d’un raffinement délectable, les épisodes de turbae (où la foule commente et amplifie le drame) soulignent la connexion entre les pupitres, les ténors placés à l’extrémité du chœur favorisant la perception des parties intermédiaires. L’homogénéité du groupe et l’intelligence individuelle de ses chanteurs en font un outil musical fascinant, aussi à l’aise dans la virtuosité frémissante de « Lasset uns den nicht zerteilen » que dans l’effusion simple et modeste du chœur final. L’intonation parfaite et la flexibilité vocale forcent toujours l’admiration depuis la fondation de Vox Luminis par Lionel Meunier.

La soprano Zsuzsi Tóth a su faire de l’attendu « Zerfliesse » un moment d’intimité bouleversant, le contrôle du souffle autorisant des nuances infiniment délicates, alors que Caroline Weynants nous a emmené sur les pas de Jésus avec la confiance inébranlable que peuvent procurer des vocalises impeccables (« Ich folge dir gleichfalls »). Le jeune contreténor Alex Chance présente déjà toutes les qualités de précision et d’homogénéité qui ont fait de son « Es ist vollbracht » un moment d’intense recueillement. Le timbre séduisant et la diction claire de la basse Sebastian Myrus ont détaillé avec art les mélismes de « Eilt, ihr angefochtnen Seelen ». Quant au ténor Raffaele Giordani, il a exposé la lumière d’une voix puissante et des phrasés d’une grande subtilité, notamment dans l’air avec deux violes d’amour (ici remplacées par deux violons). 

Les interventions de Geoffroy Buffière (Pilate) ont fait valoir le noble métal de sa voix de basse dans ce rôle très court. Commentateur indispensable de la Passion, le ténor Raphael Höhn s’est parfaitement inscrit dans l’esthétique à la fois sobre et profondément incarnée des meilleurs Évangélistes. Fort d’une technique impeccable, très à son aise dans la direction musicale des récits et admirablement soutenu par Céline Frisch à l’orgue, il a su rendre ce théâtre de la Passion à la fois intime et profondément émouvant.

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