Événement dans la ville rose : toute auréolée de sa gloire américaine, Nathalie Stutzmann est invitée pour la première fois à diriger l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Mozart introduit la suite germanique qu’elle va conduire ce soir. Les premiers accords de la Symphonie concertante sont pâteux, les thèmes peinent à décoller. La cheffe n’est pas avare de gestes : mouvements du poignet, doigt qui pointe, baguette précise. Les musiciens sont réactifs, l’orchestre est au bout de son bras et pourtant le ruban sonore reste plat. Puis les solistes arrivent. Veronika Eberle au violon et Adrien La Marca à l’alto, d’abord fusionnels, se passent la mélodie dans une texture sonore identique. Ils bondissent, pleins d’inventivité et d’intentions, avec un grand naturel. Ils portent la cadence du premier mouvement, les yeux dans les yeux, dans une intimité qui les relie dans la musique. Splendide.

Nathalie Stutzmann dirige l'Orchestre du Capitole, avec Veronika Eberle et Adrien la Marca © Romain Alcaraz
Nathalie Stutzmann dirige l'Orchestre du Capitole, avec Veronika Eberle et Adrien la Marca
© Romain Alcaraz

Dans l’Andantino qui suit, Nathalie Stutzmann pose sa baguette. Soudée à l’orchestre, elle lance l’opération « nuances », sur un tempo très retenu. Le discours gagne en subtilité mais perd encore en articulation. Veronika Eberle et Adrien La Marca, dont l’intonation est toujours juste, sont heureusement d’une finesse stupéfiante dans la cadence de ce mouvement. Cette finesse est contagieuse : à la reprise, les violons trouvent une douceur à la hauteur des solistes.

La cheffe reprend sa baguette pour le Tempo di minuetto final : les rythmes pointés de la partition posent un tout autre cadre, l’orchestre trouve son moteur interne et une vraie dynamique. On ressent même de l’air entre les notes, une respiration collective émerge enfin. Largement salués, les deux solistes donneront en rappel un bref duo de Bartók.

On attendait beaucoup Nathalie Stutzmann dans l’ouverture de Tannhaüser, donnée en conclusion du programme de ce soir : elle a prouvé à Bayreuth qu’elle était une grande wagnérienne. Sa partition est d’ailleurs pleine de post-its de couleurs et de traits fluos, Dieu qu’elle a dû la travailler, cette splendeur... Voilà, bientôt les pèlerins aux carrures régulières vont se heurter au désir à l’état brut du Venusberg, dans cette œuvre d’une incroyable densité. Las. D’où nous vient, alors que les musiciens sont très nombreux sur le plateau, le sentiment d’une perte de puissance ? Le chœur des cuivres et des bois manque de mystère, l’érotisme n’affleure jamais. En dépit de la virtuosité ou de la belle mise en place, cette lecture ne marque pas la mémoire.

La Troisième Symphonie de Brahms restera donc le sommet de cette soirée. Au retour de l’entracte, on est tout de suite pris dans une musique non linéaire : l’orchestre produit des nuances d’une immense variété, les accents se suivent et ne se ressemblent pas. Brahms est déconstruit au service d’une lecture inventive, astucieuse, réinventée. Jamais on ne perd le fil du discours thématique, tout en étant régulièrement surpris par ses modulations. Les phrases de l’Andante fusent dans l’acoustique transparente de la Halle aux grains, mettant en valeur le hautbois de Louis Seguin ou la clarinette de Floriane Tardy.

Le célèbre troisième mouvement débute de la plus magnifique des manières : les violoncelles, emmenés par Pierre Gil, étirent la double croche, créant un effet de suspension magique. Les cordes nous plongent dans un élément hyper liquide, où tout est relié. Au cœur de l’Allegro enfin, on se rappellera une belle prise de risque avec un temps très serré, qui pousse loin les articulations, toujours parfaitement tenues par un orchestre survolté.

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