Écouter les Wanderer dans Beethoven et Schubert, en matinée au Théâtre des Champs-Élysées, a quelque chose du dimanche matin idéal : on s’y sent bien, au chaud, à l’aise comme dans des chaussons. Le trio se promène chez les deux compositeurs en territoire connu, comme en pantoufles… Pour le plus grand bonheur des oreilles des spectateurs.
Le concert s’ouvre sur le Trio « Gassenhauer » de Beethoven, initialement composé pour piano, violoncelle et clarinette. Bien que la clarinette soit ici devenue un violon, les timbres instrumentaux des Wanderer ont la beauté et la force de l’évidence : le son rond et expressif des cordes, soutenu par un vibrato ample et fourni, se détache au-dessus d’un piano lumineux, légèrement plus percussif. Ce contraste n’empêche aucunement des phrasés homogènes, d’un naturel incontestable et sans la moindre fioriture. Car dans les phrasés des trois musiciens, l’énergie est partout : dans chaque appui, il y a une véritable impulsion qui permet de relancer le mouvement, avant de se déliter immédiatement dans la nostalgie du chant qui suit.
La nostalgie atteint des sommets dans l’Adagio, d’une élégance raffinée : le thème du violoncelle, puis celui du violon sont à la fois sentimentaux et très dignes. Tout au long du mouvement, leurs courtes ponctuations sont menées, guidées par un vibrato savamment dosé qui donne du sens à chaque note. Plus aériens que jamais, les motifs de l’Allegretto final semblent rebondir sur les accents, voleter sur le détaché aérien du piano de Vincent Coq, toujours limpide. Le passage central plus sombre est joué avec un tel calme apparent que l’explosion de joie qui s’ensuit est merveilleusement inattendue, tout comme la section ternaire, ici moins endiablée que gentiment espiègle. Les trois musiciens se jouent des contrastes avec une agilité impressionnante et parviennent à susciter l’étonnement au tournant de chacune des phrases de Beethoven.
Moins de surprises, mais plus de douceur : même les attaques énergiques du premier mouvement du Trio op. 100 de Schubert conservent un moelleux parfait sous les archets de Jean-Marc Phillips-Varjabédian et Raphaël Pidoux. Deux archets impressionnants de complicité qui, quand ils accompagnent la mélodie esquissée au piano, dessinent des piqués aux consonnes exactement identiques. Quasi sans rubato, le trio parvient à instiller une mélancolie indicible : chaque reprise du deuxième thème semble plus douce, plus sombre que la précédente – sans pour autant entraver le caractère triomphant des passages les plus exubérants.