Víkingur Ólafsson entre sur la scène de la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris et s’installe au piano pour la création française d’After the Fall de John Adams. Le Tonhalle-Orchester Zürich et Paavo Järvi viennent de proposer une entrée en matière flamboyante avec le Concert românesc de György Ligeti mais, dans l'œuvre du compositeur américain, les choix interprétatifs n’apparaissent pas clairement et l’écueil d’une œuvre sans véritable vision se dessine. Il manque un supplément d’âme. Avec un parti pris plus affirmé dans l’équilibre des pupitres ou simplement dans la conduite des voix, l’orchestration ciselée d’Adams aurait pu être mieux mise en valeur.

Víkingur Ólafsson © Ari Magg
Víkingur Ólafsson
© Ari Magg

Ólafsson, lui, installe d’emblée une froideur qui se prête au calme installé par les nappes de cordes. Une atmosphère acidulée et surannée nimbe cette première partie de l'œuvre et rappelle les moments de statisme du Concerto pour deux pianos de Poulenc. Des micro-événements introduits par le piano et éclatés en bribes aux cuivres, bois et percussions déclenchent des montées en puissance de l’ensemble en apportant une rythmique dynamique. Le jeu perlé à la pédale parcimonieuse d’Ólafsson amène une magnifique superposition du piano et des cordes dans le motif descendant de la deuxième partie. Adams le souligne délicatement en travaillant les résonances des gongs de gamelan, des harpes et du célesta.

La froideur du jeu du pianiste et l’état de stase finissent pourtant par lasser. Même si rien ne revient jamais, l’impression de redondance est forte. Elle se dissipe avec l’arrivée de la citation du Prélude en do mineur du Clavier bien tempéré de Bach. Comme pris dans un tourbillon théâtral, l’orchestre et le soliste déploient enfin des couleurs vives et tranchantes. Avec l’accélération finale, la section prend une allure de course poursuite dans un monde surnaturel effrayant.

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Paavo Järvi
© Kaupo Kikkas

Cette fuite vers l’avant, Paavo Järvi et son orchestre l'avaient parfaitement maîtrisée dans les parties « friss » (rapides) du Concert românesc de Ligeti. En une respiration et un haussement d’épaule du chef imprimant le tempo du passage, les musiciens galvanisés réagissent sans délai. Cette qualité permet à Järvi d’ajuster avec une cohérence millimétrée tous les tempos de cette partition tantôt mélancolique, tantôt mystérieuse, tantôt endiablée. La Symphonie n° 3 « Rhénane » de Schumann bénéficiera de cette même attention après l'entracte : pour le finale, le chef choisit un tempo très allant qui permet une gaieté légère. L’orchestre ne se départ jamais de son moelleux tout en donnant une lisibilité à toutes les voix.

Dans le solo en écho du Concert românesc de Ligeti tout comme dans le quatrième mouvement (« Feierlich ») de la symphonie, le pupitre de cor brille par son osmose. Une qualité qu’on peut tout autant attribuer aux cordes du Tonhalle-Orchester et qui frappe dès la première note du thème roumain énoncé à l’unisson puis dans la majesté du premier mouvement (« Lebhaft ») de Schumann. 

Paavo Järvi sculpte chaque phrasé. Aucune articulation ne rate son effet : ni les accents majestueux des cuivres dans la fin du premier mouvement, ni le souple legato des violoncelles dans le « Scherzo ». Le supplément d’âme est là et il transcende la partition. Le « Nicht schnell » se pare de couleurs nocturnes irrésistibles. Le poids des archets des violons, la tension délicatement résolue des désinences, la suavité des clarinettes, tout respire la fluidité. Järvi a le sens des temporalités et de la théâtralité : à peine a-t-il coupé le point d’orgue du quatrième mouvement qu’il commence aussitôt le finale, mobilisant, en un laps de temps qui ne permet pas la réflexion, tout un monde nouveau.

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