« Il faut chasser les psychanalystes des théâtres, et de Bayreuth en particulier ! » Cet aveu d'une voisine un peu bavarde en dit long sur le climat de tensions qu'institue l'expectative de chaque nouvelle production sur la colline verte. Hier dans L'Or du Rhin, le ton avait été donné par le metteur en scène Valentin Schwarz : drame transgénérationnel, enfants traumatisés... Comment cette vision très freudienne de la Tétralogie allait-elle englober la populaire Walkyrie, et ses multiples symboles au fort potentiel psychanalytique ?

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La Walkyrie à Bayreuth
© Enrico Nawrath

Dans les grandes lignes, la métaphore filée suit son cours : Hunding et Sieglinde habitent une maison très suburbs. Le premier, flic rentré tard du travail et découvrant que la tempête a fait s'effondrer un arbre sur sa maison, s'acharne sur la seconde, véritable Desperate Housewife bavaroise. Au Valhalla, les dieux sont réunis auprès du cercueil (blanc, comme il se doit) de Freia dans une mise en scène très WASP. Les Walkyries, elles, s'enduisent de crèmes de beauté, font des masques purifiants et Brünnhilde, maquillée comme une voiture volée, se fait photographier par Grane (sa monture, personnifiée pour l'occasion).

Entre les lignes, les énigmes posées la veille s'éclaircissent également. Le mystérieux cube de pouvoir récupéré par Wotan à la fin de L'Or du Rhin, ressemblant à s'y méprendre au Tesseract des films Marvel (l'imaginaire américain, encore et toujours) abrite en fait un revolver, Notung de circonstance que brandit Siegmund pour affronter Hunding. La continuité discrète des symboles est également assurée : « l'enfant-Ring » du Rheingold portait un Rubik's Cube autour du cou, on en retrouve un semblable près de Wotan dans le deuxième acte.

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La Walkyrie à Bayreuth
© Enrico Nawrath

Là où le contrat scénique s'essouffle, c'est dans les tentatives comiques du metteur en scène. L'Or du Rhin s'y prêtait bien volontiers ; c'est moins le cas de La Walkyrie, à la charge tragique inévitable. Ces Walkyries sorties d'une émission de relooking font sourire, mais elles rendent pathétique le troisième acte, lorsqu'elles protègent leur sœur du courroux de Wotan. Les panneaux mobiles, véritable signature de la mise en scène, sont toujours aussi beaux, mais constituent une entrave aux chanteurs qui, pour des besoins de projection, ne peuvent évoluer qu'au bord de ceux-ci, ce qui limite considérablement les possibilités de jeu, compressant l'espace scénique en une toile en deux dimensions. On imagine bien que ce genre de détail, constaté au moment des répétitions, a été réglé dans l'urgence et ne constitue pas de réel choix de mise en scène.

Dommage, car certaines scènes sont bouleversantes : dans les célèbres adieux de Wotan, Brünnhilde, abandonné par son lâche de père, se refuse ici à son étreinte, et alors que celle-ci s'éloigne avec Grane et qu'un immense mur de fer la sépare définitivement de Wotan, ce dernier se tord de douleur à l'avant-scène, sous le déchaînement de l'orchestre. La beauté du désespoir.

<i>La Walkyrie</i> à Bayreuth &copy; Enrico Nawrath
La Walkyrie à Bayreuth
© Enrico Nawrath

Les petits doutes présents hier sur la partie musicale s'estompent ce soir. Tomasz Konieczny est un Wotan d'exception, usant à merveille de l'acoustique pour offrir des pianissimos affectés et désincarnés, figurant au mieux la faiblesse pathétique de son personnage. Georg Zeppenfeld reproduit avec Hunding ce qu'il faisait avec Gurnemanz la semaine passée : timbre racé, esprit sur le qui-vive, à l'écoute de ses partenaires – et un regard si perçant qu'on y est sensible du fond de la salle. Michael Spyres a le timbre parfait pour chanter Siegmund. Ses aigus lui viennent avec une facilité déconcertante, et son sens de la phrase ne dépare jamais la musique de son caractère bouillonnant. Vida Miknevičiūtė (Sieglinde) ne fera pas tant l'unanimité, la faute à une voix parfois un peu légère ; mais son incarnation incandescente, son aisance et son timbre de toute façon superbe achèvent de nous convaincre. Le contraste avec Catherine Foster (Brünnhilde) et Christa Mayer (Fricka) est parfait. 

Beaucoup s'étaient agacés du choix de Simone Young pour remplacer Philippe Jordan à la baguette. Il est temps d'affronter l'évidence : on serait presque tenté de penser qu'on gagne au change. L'orchestre est magnifique, le son des cordes se déploie avec une intensité rare, et la cheffe, première femme à diriger le Ring à Bayreuth, connaît son texte comme personne, montrant une merveilleuse adaptabilité à la scène dans des rubatos construits et organiques.

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