Le Théâtre des Champs-Élysées proposait il y a tout juste deux ans une nouvelle production de La Vie parisienne mise en scène par le couturier Christian Lacroix, ceci dans la partition originelle écrite par Jacques Offenbach et sous les auspices du Palazzetto Bru Zane. Bien avant le raccourcissement aboutissant à la version dite de 1873, l'œuvre avait déjà subi, au cours des répétitions en vue de sa création le 31 octobre 1866, des coupures, suppressions ou substitutions d’airs, en raison des difficultés rencontrés par les artistes. Ceux-ci étaient plutôt pessimistes à propos du succès à venir du nouvel opéra bouffe en cinq actes. Et pourtant ce fut un vrai triomphe, l’ouvrage étant repris au Théâtre du Palais-Royal en moyenne une fois par jour pendant les neuf mois qui suivirent !

<i>La Vie parisienne</i> à l'Opéra Comédie de Montpellier &copy; Marc Ginot
La Vie parisienne à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

Régulièrement sollicité pour la conception des costumes de spectacles, Christian Lacroix s'est ainsi lancé fin 2021 dans la mise en scène d’opéra. On retrouve à l’Opéra Comédie de Montpellier son décor unique pour situer l’action des tableaux successifs, depuis la gare du chemin de fer de l’Ouest du premier acte jusqu'au restaurant de l'acte final, en passant par des intérieurs plus ou moins dotés en mobilier, tapis et tableaux pour nous transporter chez Gardefeu, puis à l’hôtel de Madame Quimper-Karadec. Les images ont une belle allure, une élégance certaine, mais la vie et le naturel font régulièrement défaut, avec des séquences statiques où les solistes paraissent livrés à eux-mêmes pour jouer ou se mouvoir. Heureusement, les chorégraphies de Glyslein Lefever animent parfois le plateau ; on sourira notamment en fin d’acte III quand trois danseurs défilent sur hauts talons pendant que Gabrielle détaille la Parisienne dans ses couplets (« Sa robe fait frou frou frou frou »).

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La Vie parisienne à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

Bien sûr, le comique de situation fonctionne, par exemple au réveil à gueule de bois du lendemain de fête en début d’acte IV, mais il y manque sans doute ce grain de folie typique de l’opéra bouffe d’Offenbach, sans tomber pour autant dans la gaudriole. Le rondeau du Brésilien à son entrée en scène en est un exemple frappant, joliment énoncé par le ténor Pierre Derhet, mais dans un volume modéré et sans aucune exubérance, tranchant ainsi avec d’autres interprètes – même souvent moins appliqués pour ce qui concerne le chant. Moins exposé en bottier Frick, il donne la réplique à la gantière de Florie Valiquette, une Gabrielle à la voix frémissante, plus sonore dans sa partie aiguë. Au sein du couple de Gondremarck, Marion Grange incarne une Baronne un peu effacée, tandis que Jérôme Boutillier, en Baron sosie d’Offenbach lui-même, développe son très beau grain de baryton, dans ce rôle qui flatte toutefois assez peu ses belles notes les plus aiguës.

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La Vie parisienne à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

Les deux jeunes gens Raoul de Gardefeu et Bobinet sont interprétés avec davantage de naturel et fluidité par Flannan Obé et Marc Mauillon, baryton suffisamment concentré dans le médium pour le premier et format de baryton Martin qui conduit avec élégance sa partie de ténor pour le second. Éléonore Pancrazi chante le rondeau de la lettre de Métella avec son instrument richement timbré de mezzo, ainsi qu’une diction très claire du texte, qualité qu’on apprécie de la part de l’ensemble de cette distribution francophone. Philippe Estèphe est un autre baryton de belle noblesse de timbre, aux côtés entre autres de la soprano aérienne Elena Galitskaya, de l’autre ténor Raphaël Brémard ou encore de l’amusante Madame de Quimper-Karadec interprétée par Marie Gautrot. Bonne contribution également des choristes qui tentent d’allumer, comme au galop conclusif de l'acte IV, le « Feu  ! Lâchez tout ! ».

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La Vie parisienne à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

Déjà au pupitre des représentations parisiennes fin 2021, le chef Romain Dumas a quant à lui le grand mérite de garder sous contrôle la puissance des musiciens de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, en maintenant l’équilibre avec les voix des solistes, pas spécialement volumineuses. Tant mieux pour la partition qui revêt un intérêt particulier, de nombreux passages étant une découverte pour nos oreilles habituées à la version de tradition. Si les deux premiers actes restent à peu près conformes à nos écoutes passées, la représentation s’en écarte en cours d’acte III puis lors des deux actes suivants, avec quelques perles qu’on aurait plaisir à réécouter… On peut par exemple citer le trio militaire de l'acte III entre Prosper, Urbain et le Baron (« Rien ne vaut un bon diplomate. Rien ne vaut un bon général »), jusqu’aux brèves citations de Don Giovanni au dernier acte (« un peu de Mozart… ça ne peut pas faire de mal »). Bonne nouvelle, un enregistrement du Palazzetto Bru Zane est annoncé prochainement.


Le déplacement d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie.

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