L’élégant public des Sommets Musicaux de Gstaad prend place dans l’église de Saanen. Sous un orgue splendide, face à la petite scène et ses peintures murales qui l’entourent, il a rendez-vous ce soir avec Bertrand Chamayou, joueur parcimonieux de Mozart, Michael Sanderling et le Luzerner Sinfonieorchester. L’Intermezzo pour cordes op. 8 de Franz Schreker qui ouvre le concert est une belle manière pour Sanderling et ses troupes de présenter l’excellence de ses pupitres de cordes, même en effectif réduit, et de préparer le public à un grand moment symphonique.

Bertrand Chamayou à Saanen © Raphaël Faux
Bertrand Chamayou à Saanen
© Raphaël Faux

Les présentations étant faites, passons au Mozart et son Concerto n° 20 ! Chamayou double la ligne de basse à la main gauche dès l’exposition de l’orchestre, à la manière d’un continuo. Certes, c'est ce que font aujourd'hui des interprètes « historiquement informés », notamment Alexander Melnikov, mais il joue sur un instrument d’époque, et au sein de l’orchestre. On peut se poser la question de la légitimité d’une telle démarche avec instrument moderne, et dans une disposition où le pianiste trône seul et projette le son directement dans le public. Ce soir, cet effet de surprise dédramatise également une ouverture pleine d’enjeux en posant la concentration du public sur Chamayou et pas sur le drame sous-jacent de l’œuvre. Peut-être fallait-il aller au bout de l’idée ? Soit en faisant le choix du joué-dirigé, soit en jouant avec un chef mais le piano ouvert dans l’orchestre, à la Berezovsky, pour faire valoir l’intégration d’un Steinway moderne dans l’ensemble.

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Bertrand Chamayou et le Luzerner Sinfonieorchester
© Raphaël Faux

Du parterre, le piano sonne éloquemment et capte l’attention. Le discours est vivant, clair mais l’on est surpris par des aigus métalliques que nous n’avions jamais entendus sous les doigts de Chamayou dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie, dans des programmes avec bien plus de notes qu’un concerto de Mozart. On se dit que c’est l’acoustique, que c’est le piano, puis on entendra Nelson Goerner au même endroit le lendemain et l'on se rendra compte que ce n’est ni l’acoustique ni le piano. Dans le finale, Chamayou claque des talons, dit haut et fort ce qu’il a à dire. Les troupes de Sanderling lui répondent par un engagement de premier degré qui emporte l’adhésion. Le Toulousain, maître du bis, offre au public des Sommets Musicaux le beau mouvement lent de la Sonate en do majeur de Haydn.

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Michael Sanderling
© Raphaël Faux

La Septième Symphonie de Beethoven qui complète le programme sera un sommet de sérieux et d’honnêteté sous la baguette de Michael Sanderling. Les cordes rayonnent tout au long de l’œuvre, malgré un effectif réduit imposé par la petite scène de l'église. L’Allegretto est enchaîné sans battement, dans la foulée du premier mouvement. Plus on y évite le cérémonial, mieux la musique se porte ! C’est confirmé par le tempo allant des cordes et un phrasé d’abord sans aucune intention. Cette quasi neutralité laisse la place au développement d’un discours qui tiendra tout le long du mouvement, et permet de poser tous les enjeux sans un pathos exacerbé. Nous avons été habitués aux effectifs impressionnants, qui servent l’enthousiasme du finale et le recueillement de l’Allegretto. Pourtant ici, rien ne se perd dans les passages héroïques ou dansants. Les cordes jouent avec beaucoup de nuances. Les pianissimos sont denses et concentrés, chose plus difficile à faire en effectif réduit qu’avec du monde sur le plateau !

Les vents ne sont pas en reste, notamment la flûte solo de Ronja Macholdt aux interventions pleines de classe tout au long de la soirée. Dans le finale, la cohérence des cordes et le rythme imposé par Sanderling gagne la salle. Les cors se permettent des accents gouailleurs lors des deuxième et troisième reprises du second thème. Quelle énergie, et quel triomphe dans l’église de Saanen !


Le voyage de Rémi a été pris en charge par les Sommets Musicaux de Gstaad.

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