Clôturant ce cycle Monteverdi à la Philharmonie, Le Couronnement de Poppée – ultime opéra de Monteverdi – est une œuvre dont l’efficacité dramatique tient notamment à la qualité de l’expressivité du chant, lumineux, presque nu et empreint d’une sensualité tragique. Les sentiments exprimés par les différents protagonistes les montrent saisis dans leur condition humaine, composant avec le cynisme, l’amour et la déraison.

Le prologue de l’œuvre met en scène trois allégories ; l’amour, la fortune et la vertu. Si l’amour soutient aux deux autres qu’il triomphera, ce que nous dit le livret de Busenello est bien plus nuancé, l’action se situant au-delà du bien et du mal et la passion de Nerone et Poppea semblant bien plus prendre corps dans les tourments que dans la légèreté d’un amour où seul ce sentiment domine.

Le rôle de Nerone est tenu par le contre-ténor Kangmin Justin Kim, dont le chant est aussi brillant et lumineux dans les murmures que dans les parties nécessitant de faire appel à plus de puissance. Son souffle maîtrisé et sa grâce se marient avec beaucoup de délicatesse au timbre plutôt gracile et clair d’Hana Blažíková, troublante et rayonnante Poppea dont on regrettera cependant le léger manque d’épaisseur dans la voix. Ce personnage transpirant d’ambition, radical et cruel en faisant notamment condamner à mort Seneca (excellent Gianluca Buratto, aux graves si profonds en conservant une diction intacte) semble étrangement plutôt en retrait et victime de ses propres passions, semblant souffrir autant qu’elle fait souffrir autrui.

Ottone, successivement trompé par Poppea et manipulé par Ottavia, est interprété avec beaucoup de justesse et d’expressivité par Carlo Vistoli, qui parvient à traduire les tourments dont son personnage est assené de toutes parts. L’Ottavia de Marianna Pizzolato se montre quant à elle d’une dignité et d’une pudeur bouleversante, sa voix éclatante et sensuelle tranchant littéralement avec l’attitude raide et figée avec laquelle elle se meut et qui semble être un moyen de se tenir à distance de la douleur.

On retiendra également la voix voluptueuse et les aigus cristallins d’Anna Dennis qui donne beaucoup de caractère au personnage de Drusilla, qui faillit elle aussi être victime des malheurs d’Ottone, ainsi que l’agilité vocale de Zachary Wilder en Lucano. Parmi les autres rôles secondaires, Lucile Richardot (Arnalta / Venere) se distingue une nouvelle fois par sa puissance vocale, son caractère, ses graves profondément riches et nuancés et sa présence scénique qui avaient déjà tant marqué la veille lorsqu’elle tenait le rôle de Penelope dans Le retour d’Ulysse dans sa patrie.

Faisant le choix de supprimer deux monologues d’Octavie, Sir John Eliot Gardiner s’appuie cependant sur la richesse de la partition pour illustrer les multiples nuances des passions humaines et ses innombrables fluctuations. Les audaces harmoniques et rythmiques de cette partition complexe et ré-orchestrée pour s’adapter au lieu d’exécution semble familière à l’orchestre des English Baroque Soloists qui fait preuve d’une aisance remarquable en déployant tant de couleurs dans l’interprétation. La mise en espace très habile pensée par Gardiner et Elsa Rooke tient plus de la direction d’acteurs, et accompagne naturellement le propos du livret.

*****