On n’ira pas chercher de cohérence dans le programme donné ce mardi 12 au Théâtre des Champs-Élysées par le Saarländisches Staatsorchester et le pianiste Simon Ghraichy : de Saint-Saëns à Liszt en passant par Sibelius, la logique n’est pas évidente. L’intérêt de ce programme bien chargé – et son fil conducteur – est donc plutôt la recherche de netteté et d’élégance qui semble animer le chef Sébastien Rouland et son orchestre dans chacune des œuvres, malgré leur caractère bien distinct. 

La soirée s’ouvre sans entrain avec la Valse triste de Sibelius. L’introduction est tellement lente et douce que l’on peine à distinguer le rythme de la danse. Mais il faut reconnaître que le chef, Sébastien Rouland, parvient ainsi à ménager une vraie rupture avec la partie centrale, plus rapide… Surtout, il dessine des phrasés raffinés grâce à un rubato omniprésent, savamment manié pour donner du relief au thème. 

Même distinction dans Saint-Saëns : le toucher de Simon Ghraichy, très délicat, donne l’impression que le pianiste survole son clavier plus qu’il ne s’y pose. Dans l’Allegro animato, cette approche convient à merveille : en conservant une grande légèreté dans ses arpèges, le pianiste ne surjoue pas le côté virtuose de l’œuvre et parvient à en exacerber les contrastes de nuances – sans pour autant se priver de souligner le caractère ténébreux des thèmes les plus sentimentaux. De même, dans le finale, ce jeu tout en souplesse permet une agilité impressionnante dans les motifs d’accompagnement du piano. L’Andante sied tout aussi bien au soliste : il choisit cette fois d’accentuer le caractère rythmique et percussif de sa partition, en caricaturant volontiers le caractère impétueux de l’écriture. Mais c’est du côté de l’orchestre que le bât blesse : certes le chef, très à l’écoute, conserve d’un bout à l’autre de l’ouvrage une baguette extrêmement précise, mais il ne parvient pas à insuffler sinon une direction globale (la partie d’orchestre n’est pas toujours passionnante), du moins, par exemple, les progressions dynamiques fulgurantes qui pourraient pimenter l’écriture virevoltante et atypique du finale. 

C’est encore à cette approche centrée sur l’élégance que l’on doit le caractère particulier, pudiquement mélancolique, de la Symphonie n° 6 de Sibelius qui s’ouvre après l’entracte. Dans les deux premiers mouvements, la gestuelle de Sébastien Rouland, toujours fine, contraint les instrumentistes à une certaine retenue : ainsi guidés, les vents manquent un peu d’initiative dans leurs solos, mais le son des cordes est d’une admirable homogénéité (les passages joués sur la touche dans l’Allegretto moderato sont merveilleux), tout comme le timbre de l’orchestre en général. Cette direction est particulièrement adaptée aux sommets les plus jubilatoires, qui semblent ici limpides et fulgurants ; elle ne ménage cependant aucune surprise pour le spectateur – même les silences semblent un peu téléphonés – ni dans les nuances, ni dans les contrastes de timbres entre instruments qui pourraient être plus habilement exploités. Les deux derniers mouvements sont plus réussis : la harpe du Poco vivace est féérique et les sextolets légers des violons évoquent des créatures fantastiques. Quant au finale, il présente à la fois de beaux moments suspendus chez les bois et des tuttis de cordes habités, très intenses, qui créent un véritable relief. Quel dommage que les rares fortissimos ne soient pas plus explosifs ! Un peu plus d’ardeur dans les attaques des cordes aurait permis, par contraste, de mieux apprécier la conclusion de la symphonie, qui s’éteint tout en douceur.

L’orchestre ne relâchera véritablement la bride que dans la Fantaisie hongroise de Liszt, qui conclut ce programme en fanfare. Cuivres et basses s’en donnent enfin à cœur joie et parviennent à faire rutiler l’orchestre, tout en conservant une grande exactitude rythmique. Face à eux, Simon Ghraichy tire parti d’un tempo relativement calme pour accentuer le caractère libre voire improvisé de la partie soliste, et surtout se poser en véritable comédien, variant le toucher entre ses différentes interventions, forçant le trait à chaque appui et soulignant ainsi la malice de l’écriture. Une lecture parfaitement cohérente donc, si bien que l’on regrette d’autant plus qu’un trou de mémoire vienne retirer au soliste un peu de son panache ! Qu’à cela ne tienne : en guise de bis, le pianiste remet la Fantaisie sur le métier et s’en tire cette fois avec brio. Le public du Théâtre des Champs-Élysées, enfiévré par l'enthousiasme communicatif du soliste, ne demandait pas mieux !

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