On avait laissé Mahler et le Titan de sa Première Symphonie en forme olympique à Radio France grâce au Philhar' et Jaap van Zweden. Un an après, c’est au tour de l’autre orchestre de la Maison ronde de raconter la suite de l’histoire avec la Deuxième Symphonie du compositeur : le temps a passé, le héros est mort et le premier mouvement relate son enterrement.

Le début est saisissant : dès les premiers grondements des cordes graves, nous voilà au milieu du cimetière, où le raclement des pelles achève de creuser la tombe du défunt. Sans chercher le beau son, Cristian Măcelaru et l'Orchestre National de France rendent parfaitement l’ambiance funèbre de la partition. Puis on entend le cortège et ses lamentations, l’occasion de saluer le génie de Mahler qui propose des associations de timbres rares mais si éloquentes, comme ce passage associant cor anglais et clarinette basse ou cet autre liant trompette et trombone. Les vents du National sont dans le ton, avec des interventions sobres et sépulcrales qui tirent quelques larmes en glissando des violons. Une dernière gamme descendante, et voilà le cercueil descendu dans le caveau.
Le deuxième mouvement fait office de dernier hommage des vivants après l’enterrement. On y admire la complémentarité des cordes du National, dont chaque pupitre se fond dans l’autre sans couvrir le délicieux thème des violoncelles, tout en douceur, dans une nuance véritablement pianissimo comme écrit sur la partition, souvenir nostalgique de l’être aimé. On retrouve d’ailleurs quelques glissandos-larmes çà et là. Cette atmosphère sereine bercée du rythme discret de ländler est régulièrement troublée par des épisodes plus passionnels et heurtés, où jaillit l’émotion contenue en même temps que les capacités de variations de dynamiques de l’orchestre.
Nous quittons alors le monde des vivants pour suivre le parcours de l’âme du défunt. Cette dernière semble perdue au cours d’un troisième mouvement où se succèdent les rondes païennes : elle tourne en rond, puis s’engage sur un chemin avant de se perdre, d’hésiter et de choisir une autre voix. L’orchestre lui-même est parfois pris au dépourvu avec quelques décalages lors des (fréquents) changements de tempo. On apprécie cependant la recherche de textures, notamment de la part des pupitres de flûtes et hautbois qui éblouissent par la diversité de leurs attaques.
Karen Cargill apparaît alors comme une guide pour notre héros. Et quelle guide ! Sa voix de velours murmure presque le texte parfois, mais toujours en articulant la moindre syllabe avec précision, et déploie la phrase musicale avec évidence pour un Urlicht de référence. La saison dernière dans La Walkyrie, la mezzo incarnait la déesse Fricka avec toute l’autorité intransigeante du personnage : quel contraste avec la caresse de ce soir !
Suivant cette voix irrésistible, nous voilà arrivés devant la porte du Paradis, que décrit le premier accord terrible du cinquième mouvement de la symphonie, dont les résonances sont des promesses d’éternité. Toute la fresque musicale de cette ultime partie de l’œuvre est le récit de l’ouverture de cette porte vers la résurrection. Réussir à en lier tous les paragraphes est un défi pour le chef. L’interprétation du soir le confirme : chaque péripétie reste indépendamment convaincante, stimulant l’imagination de l’auditeur, mais subsiste une impression continue de décousu, dont on avait déjà eu l’intuition dans les mouvements précédents.
Finalement la porte s’entrouvre : le Chœur de Radio France, parfaitement préparé par Lionel Sow, nous accueille au Paradis. On admire sa cohérence, sa précision et sa densité dans la nuance piano. Le contraste n’en sera que plus grand avec les explosions qui concluent l’œuvre. Les deux premières interventions de la soprano Hanna-Elisabeth Müller, très exposées, pèchent par une justesse approximative. Peut-être est-ce dû au stress ou au fait d’attendre depuis plus d’une heure sur scène, toujours est-il qu’elle se fondra sans problème dans l’exultation finale, après qu’on se sera délecté une ultime fois des dernières interventions solistes de Karen Cargill.