À quoi pense Klaus Mäkelä au début du mouvement lent de la Quatrième Symphonie de Johannes Brahms ? Solidement campé sur ses deux jambes, voilà que le directeur musical de l’Orchestre de Paris baisse les bras et cesse de diriger après l’introduction des cors, écoutant simplement le thème entonné par ses troupes, les cordes en pizzicati accompagnant attentivement les bois. Ce geste apparemment surprenant ne l’est pas tant que cela, surtout de la part du maestro finlandais qui l’utilise souvent. C’est une façon à la fois de faire confiance aux musiciens, de mobiliser leur écoute, d’éviter le piège de la routine et de replacer paradoxalement le chef au cœur de l’action – car il sera d’autant plus attentivement scruté quand son corps s’animera à nouveau.

Mais ce soir, Mäkelä reste longtemps ainsi, presque immobile au centre de la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, et l’on peut se demander si ce n’est pas parce qu’il a senti que jusqu’à présent cette Quatrième de Brahms lui échappait. Le premier mouvement n’a franchement pas été grandiose, le chef se montrant peu inspiré face à un ensemble confus, des pupitres de cordes pâteux et hétérogènes, des bois solistes qui ne cessaient de tirer la couverture à eux au lieu de soigner leurs passages de témoin, des fins de phrases bâclées, avec des accents désordonnés et des longueurs d’archet disparates. On est d’autant plus surpris qu’Atmosphères de Ligeti avait introduit cette seconde partie de concert de manière impressionnante, l’Orchestre de Paris s’y transformant en grand orgue à mille doigts, capable des alliages de couleurs les plus subtils et des effets les plus impressionnants – notamment cette continuité improbable entre des piccolos stridents et des contrebasses d’outre-tombe, qui donne l’impression d’être piégé dans un escalier infini d’Escher. Mäkelä y est formidable, trouvant cette manière d’être à la fois précis, attentif et complètement habité par l’œuvre qui ne s’arrête pas au tour de force orchestral mais prend toute sa dimension poétique.
Quelques instants plus tard, voilà donc que le chef finlandais s’est arrêté de diriger et, dès lors qu’il relèvera les bras, le premier mouvement brouillon ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Certes, il y aura encore quelques échappées inutilement maniérées des bois solos et les pupitres de violons resteront quelque peu désordonnés, mais ce n’est pas grand-chose en comparaison du souffle qui semble transporter l’ensemble, et l’auditoire avec. Le finale atteint des sommets à partir du choral de cuivres qui clôt sa partie lente. Comme dans Ligeti, Mäkelä sait y être chirurgical en même temps qu’il propose une incarnation dramatique inspirante pour ses troupes qui suivent leur grand diable de chef comme galvanisées. Les trémolos des cordes donnent la chair de poule, les crescendos traversent l’orchestre comme des fusées, les accents des trombones nous clouent sur place. On finit la symphonie fourbu, presque autant que les musiciens dont les échanges de regards sont éloquents.
On quittera cependant la Philharmonie partagé après une soirée inégale, la faute à ce premier mouvement brahmsien et à une première partie de concert décevante. Mäkelä y avait pourtant programmé des œuvres à sa main : le bref subito son forza d’Unsuk Chin – dont il avait assuré la création pour ses débuts avec l'Orchestre du Concertgebouw Amsterdam avant de reprendre la partition avec « son » Oslo Philharmonic – et la Cantate BWV 82 « Ich habe genug » avec Peter Mattei – déjà son partenaire dans cette même œuvre à Stockholm il y a deux ans. Pleine de références plus ou moins cachées à Beethoven, l’œuvre d’Unsuk Chin est une vraie réussite, à la fois riche en événements, ludique et complexe, et Mäkelä la connaît sur le bout des doigts ; ce n’est hélas pas le cas d’un Orchestre de Paris auteur d’une quantité d’approximations que ne supporte pas cette partition taillée au cordeau. Quant à la cantate de Bach, si Peter Mattei s’y est montré touchant grâce au soin admirable qu’il porte au souffle, au phrasé et à la diction, l’effectif réduit de l’orchestre a peiné à introduire du sens dans une grammaire à laquelle il n’est pas habitué, articulant mollement ses notes dans des tempos sans vie sous la battue peu alerte d’un chef qui, par instants, aura semblé étonnamment routinier.