Les visites des Münchner Philharmoniker ne sont pas si fréquentes à Paris, encore moins avec une création d’un compositeur français ! Au terme d’une tournée de cinq concerts, l'orchestre bavarois dirigé par Daniel Harding faisait entendre la première française du deuxième concerto pour violon de Thierry Escaich, sous l’archet de Renaud Capuçon, son dédicataire.
Souvent critiqué pour son omniprésence médiatique, le violoniste français nous rappelle ce soir qu’il est aussi un fervent interprète de la musique de son temps. On l’a entendu créer des œuvres de Pintscher, Dusapin, Rihm, Mantovani – liste non exhaustive ! Ce soir, on est en terrain de connaissance avec un compositeur qu’on fréquente depuis plus de vingt ans, mais on doit avouer une certaine déception. Un voisin facétieux faisait remarquer à la fin de la longue demi-heure que dure le concerto que son titre (Au-delà du rêve) était plus prometteur que l’œuvre. La partie soliste exige des qualités techniques et une concentration hors normes de la part de l’interprète – Renaud Capuçon y force l'admiration – sans que ce dernier soit payé de retour par des passages où sa veine lyrique pourrait se déployer et sa virtuosité s'exprimer avec plus d’éclat.
Thierry Escaich explique son intention : « Dès les premières notes, la ballade simple et presque anodine qu’égrène le violon solo se voit obscurcie par des prolongements en écho de l’orchestre qui semblent en quelque sorte ouvrir l’espace sonore ». De fait, le violon soliste qui n’a pas une minute de répit est vite englouti dans un maelström sonore auquel il peut difficilement résister, quel que soit le talent de Renaud Capuçon qu’on aura du mal à sentir épanoui. Est-ce pour cette raison qu’il n’offrira aucun bis après les saluts d’usage avec le compositeur et le chef ?
S’il est un reproche, en revanche, qu’on ne peut pas faire à Thierry Escaich, c’est de ne pas savoir écrire pour l’orchestre : l’effervescence est son moteur, la luxuriance sa marque. Alors qu’on se rappelle la création très applaudie à Liège, en 2006, de son Miroir d’ombre pour violon, violoncelle et orchestre où Escaich réunissait les deux frères Capuçon, ou son Concerto pour orchestre donné pour l’inauguration de la Philharmonie le 14 janvier 2015, on éprouve ce soir le sentiment d’une belle machine un peu creuse, un peu en panne d'inspiration, certes servie luxueusement par l’opulence des musiciens bavarois.

La Quatrième Symphonie de Bruckner en deuxième partie va bénéficier de la somptuosité des Münchner Philharmoniker – en particulier de son formidable cor solo Matías Piñeira – et du sens de la précision de Daniel Harding. Les Munichois n’ont pas oublié les Bruckner si souvent joués avec Rudolf Kempe, Sergiu Celibidache, James Levine et plus récemment avec Valery Gergiev. La répartition des cordes sur la scène (de jardin à cour dans cet ordre : premiers violons, violoncelles, altos et seconds violons, avec les contrebasses derrière les seconds) confère au quatuor un moelleux, un velours, une ampleur qui pourraient presque suffire à notre bonheur, si le fond de l’orchestre n’était comparable à de l’or en fusion, tant dans les vents que dans les cuivres, avec une mention toute particulière pour ces cors merveilleux qui sonnent la chasse dans le début du troisième mouvement.
Mais un très bel orchestre et une baguette méticuleuse ne suffisent pas à faire un grand Bruckner. Cette symphonie en particulier a besoin de fièvre, d’élan, de pleins et de déliés, elle n’a pas été surnommée « romantique » pour rien par le compositeur lui-même ! C’est moins une question de choix de tempos – on sait combien ceux-ci peuvent varier d’un chef à l’autre – que d’impulsion, de mouvement organique, qui bousculent la barre de mesure et évitent l'inertie. On l'a encore constaté récemment avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France : Daniel Harding est un orfèvre de la petite forme, du portrait, de la narration. Il est manifestement moins à l'aise dans la grande arche, la trajectoire qui se construit irrésistiblement. Si les Münchner Philharmoniker ont fait mieux qu'honorer leur contrat à l'égard du public parisien, on attendait sans doute plus de cette soirée.