Encore une magnifique soirée à mettre au tableau de chasse de l’agence Caecilia qui nous ravit de merveilleux concerts au fil des saisons, faisant de Genève la plaque tournante des grands interprètes dont le pianiste de ce soir, Nikolai Lugansky.

Avançant d’un pas décidé, carrure de géant, le pianiste russe, élève de Tatiana Nikolaïeva, semble comme en prosternation devant son instrument, et c’est dans une osmose parfaite avec ce dernier que le musicien révèle les musiques proposées dans un douce transe qui amene les auditeurs loin dans les plaisirs musicaux.

En première partie, le musicien russe propose Les Saisons de Tchaïkovski, pièce découpée en douze mois, qui allie expressivité, virtuosité modérée et une gamme impressionnante de couleurs magnifiquement parées par Nikolaï Lugansky.

Que dire de cette première partie de soirée ? Des louanges et des superlatifs…

Le toucher de Lugansky est suave, nulle trace d’agressivité, les notes sont d’une douceur sans équivalent, les accords puissants sans en devenir ni métalliques ni plaqués. La virtuosité est présente mais transmise sans esbroufe : le pianiste sert la musique sans excès d’égotisme. Le legato règne en maître, appuyé par l’utilisation d’une pédale sensible, qui ne noie pas le discours.

Beaux accords du carnaval de février : rythmés et pétillants, ils recèlent une joie irradiante que viendra apaiser le chant de l’alouette du mois de mars, concentré d’âme slave, entre mélancolie et sourire. On aura perçu les gouttelettes du mois d’avril, les miroitements de l’eau et l’effleurement du vent : la souplesse rythmique du pianiste renforçant cette délicatesse toute printanière. 

Moment suspendu lors de la barcarolle du mois de juin : le pianiste, tour à tour penché sur le clavier, ou élevant le regard vers le ciel, égrène les notes qui s’élèvent d’elles-mêmes, dans un doux flux superlatif et poétique. Lugansky a cela de touchant et d’irrésistible : il frôle l’émotion avec beaucoup de sensibilité sans jamais sombrer dans les effets faciles. Les notes aiguës sont égrenées tels des flocons : pureté cristalline et douceur duveteuse.

Les mois de juillet, août et septembre, plus exubérants, respectivement mois du faucheur, de la moisson et de la chasse, proposent grandiloquence et puissance racée que vient calmer le « Chant d’automne » tout en ralentissement, offrant une nostalgie débordante s’éludant sur un accord non résolu provoquant une émotion irrésistible.

C’est avec une transe de Noël que se clôt le cycle dans l’opulence de salons que l’on sent dorés, égayés de robes qui virevoltent et de traînes ourlées de fourrures opulentes : un voyage, russe assurément, proposé de la plus envoûtante des manières.

En seconde partie de programme, la magnifique Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur de Chopin offre ses plaisirs et ses fastes : inspiré, Lugansky convoque le ciel en élevant le regard  et illumine son interprétation. Sa polonaise est plus impressionniste que romantique, faite de beaucoup d’estompe ; elle paraît parfois presque désossée, vivant de sursauts et d’élans mégaphoniques pour finir dans un final grandiose et quasi orchestral.

La Mazurka en si majeur est prise tout en souplesse en soulignant les lignes et en estompant l’aspect dansé, celle en ré bémol majeur virevoltera plus, insistant sur son aspect rugueux et volontiers folklorique, tout en ruptures dynamiques. La Mazurka en la bémol majeur se fera très ondine, somptueuse et celle en ut dièse mineur, hésitante dans son introduction se révèlera superbe d’impétuosité.

Et si la Barcarolle fut fluide, parée de graves estompés dans un désir de souplesse préliminaire, le pianiste déclamera dans un final grandiose la somptuosité de son timbre et de son caractère pour finir virevoltant, tel un vol d’hirondelle. La Ballade, presque debussyste dans son introduction, puis superbe et romanesque, vint clore avec émotion un récital de haute tenue. Chapeau bas M. Lugansky !

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