Le succès de la Philharmonie de Paris est tel qu’on en vient à remarquer quand la grande salle Pierre Boulez n’est pas comble comme en ce mercredi soir. Absence de soliste ? programme trop traditionnel ? C’est pourtant l’Orchestre de Paris et – pour la première fois semble-t-il à sa tête – l’ancien directeur musical de l’Opéra de Paris, le Suisse Philippe Jordan, que les phalanges de la capitale, qu’il n’avait pas le droit de diriger durant son mandat, ne manquent plus une occasion d’inviter, surtout depuis qu’on sait qu’il en aura fini avec l’Opéra de Vienne en 2025.
Ce programme est justement constitué de deux symphonies viennoises inachevées de Schubert et Bruckner, un choix assumé du chef. Combien sont-ils de sa génération à connaître intimement ces répertoires, dont les plus grands interprètes auront bientôt tous disparu ? C’est d’abord de cela qu’il faut remercier Philippe Jordan : une passionnante leçon de style et d’histoire. Dans une courte vidéo présentée sur le site de la Philharmonie de Paris, le chef donne d’ailleurs les clés de sa vision et de son interprétation des deux chefs-d’œuvre. En l’occurrence ce soir il fait ce qu’il a dit, et livre une leçon éblouissante de direction d’orchestre.
Toute l’Inachevée schubertienne va baigner dans une atmosphère profondément romantique : du début si mystérieux surgi des tréfonds de l’orchestre – que le chef décrit comme la peur de la mort qui s’est emparée du compositeur – jusqu’à l’appel du hautbois planant sur le frémissement des cordes, et le thème lumineux presque dansant, plusieurs fois interrompu par les trombones qui nous ramènent à la sombre tonalité du si mineur, Philippe Jordan fait du premier mouvement d’abord un véritable Allegro moderato, usant d’un ambitus de nuances inhabituel, privilégiant la douceur des attaques, la plasticité du son de chaque pupitre. C’est d’une beauté stupéfiante.
Quant au second mouvement – selon le chef « un mi majeur qui ouvre les portes du paradis » –, il prolonge l’effet hypnotique du premier, surtout quand la clarinette de Pascal Moraguès et le hautbois d’Alexandre Gattet illuminent cet Andante con moto conçu par Schubert comme un chemin de rédemption. On applaudit très fort l’infinie tendresse de cette Inachevée jouée sans pathos ni boursouflure par un Orchestre de Paris en lévitation.