Grande, très grande soirée à Toulouse : c’est le premier concert qu’y dirige Tarmo Peltokoski comme directeur musical de l’Orchestre National du Capitole, et non plus en chef invité. Le phénomène de 24 ans a choisi Wagner, le compositeur qui l’a fait advenir à la musique, et Mahler dont il affectionne particulièrement la Deuxième Symphonie dite « Résurrection ». Preuve de cette intimité : il dirige le prélude de Tristan et la symphonie sans partition.

Le fameux « accord de Tristan » résonne sans pathos, avec mesure. La musique se déploie dans un bel équilibre général. Mais ce prélude est bien plus que cela : il doit exprimer musicalement le lien entre le désir et la mort – « le désir, le désir, l’aspiration insatiable, qui renaît toujours à nouveau, et se languir » – dit le compositeur. Las, l’émotion tarde à poindre alors que les dernières notes résonnent déjà. Quand soudain, sans respiration aucune, violons et altos attaquent la symphonie de Mahler dans une tension inouïe. Les violoncelles et contrebasses claquent, nerveux, nets, l’orchestre petit à petit les rejoint dans un grand crescendo et c’est nous qui ne respirons plus. C’est une succession de vagues, une houle hypnotique, puis un accelerando haletant nous mène à un climax tellement vertigineux que la salle interrompt la musique en applaudissant à tout rompre. Il en fallait plus pour déconcentrer Peltokoski qui repart de plus belle. Dans cette musique déchaînée, mortelle (« Totenfeier », titre le compositeur), le chef tient ses pupitres et notamment les cuivres, qui ne sont jamais assourdissants alors qu’ils explosent régulièrement en déluges de décibels.
Le contraste avec le Ländler qui suit est tellement important que Mahler demandait qu’une pause de cinq minutes ait lieu. Peltokoski la respecte, les yeux rivés au sol, achevant d’égarer une partie de son public, régalant l’autre. Et puis on part pour une toute autre aventure, cet Andante moderato pris avec le sourire, une pure joie de vivre, des accents simples et naturels, une parfaite continuité d’intonation entre les pupitres qui s’écoutent chanter avec bonheur. Pendant tout le passage où les cordes jouent en pizzicati, le chef baisse les bras et sautille en souriant. Il fait déjà tellement confiance à son orchestre qu’il le dirige des mollets…
Dans l’attaque du Scherzo, on retrouve une grande fidélité au texte : « en un mouvement tranquille et coulant », indique le compositeur. Pas de brusquerie, d'exagération, de violence gratuite. C’est un scherzo au sens littéral, pour rire, même si c’est un rire noir ou sarcastique. Peltokoski emmène à nouveau son orchestre dans un climax époustouflant et grinçant. Pour, quelques minutes après et sans transition, donner la parole à Wiebke Lehmkuhl. L’alto allemande chante vraiment Urlicht « comme un enfant qui s’imagine arrivé au paradis » (Mahler). La beauté de son timbre nous prend à la gorge, chaque note est pesée, posée, parfaite. Les courts échanges avec les solistes, hautbois, violon, les deux piccolos, sont profondément justes.
Puis le cinquième mouvement, celui où tout se résout, débute. Cette symphonie est la seule œuvre véritablement chrétienne de Mahler, où il tient pour évidente la vie éternelle et la résurrection des corps. Mais ce n’est pas pour tout de suite ! Il faut encore en passer par la lutte, par des déchaînements de cuivres et de percussions, menés par un Peltokoski qui électrise, galvanise son orchestre. Quand enfin, le chœur entre, sur la pointe des pieds, pianissimo, comme par effraction. Pour ne pas rompre l’équilibre magique créé par les cuivres en coulisse et les flûtes devant nous, les chanteurs restent assis. Et quelle assise… Les voix graves sont splendides. Le choral est bouleversant, les interventions de la soprano Silja Aalto et de Wiebke Lehmkuhl se coulent dans la musique qui nous emporte… On en viendrait presque à vouloir chanter avec elles : « avec les ailes que j'ai gagnées dans une lutte ardente pour l'amour, je m'élèverai vers une lumière qu'aucun œil n'a jamais vue ! »