Arrivant cérémonieusement jusqu’au piano, le jeune Yoav Levanon (20 ans) salue tout sourire le public du Théâtre des Champs-Élysées : il est manifestement très heureux d’être ici, et sa joie mêlée d’excitation est communicative. Il propose un programme « studieux » en accord avec son apparence juvénile d’étudiant : huit études tirées de l’opus 25 de Chopin, cinq tirées de l’opus 39 de Rachmaninov et l’intégralité des Études d’exécution transcendante de Liszt ! Un feu d’artifice de notes à faire pâlir n’importe quel pianiste, tout expérimenté soit-il.

Yoav Levanon © Nir Slakman
Yoav Levanon
© Nir Slakman

Les premières pièces de Chopin sont tout à fait convaincantes. Tandis que les contrechants de l’aérienne première étude sont mis en valeur sans être excessivement marqués, les abeilles de la deuxième chuchotent leur bourdonnement léger. Le pianiste israélien propose un jeu de pédale varié dans la cinquième et fait preuve d’un sens de la narration prenant dans la très exigeante étude des tierces.

Les choses se gâtent à partir de la septième, dite « Violoncelle » par son caractère lyrique à la main gauche. La difficulté n’est plus la production d’un nombre de notes exubérant. Levanon énonce l’introduction plaintive la main droite sur le cœur, comme pour montrer comment ressentir la musique. Malheureusement, la réalisation n’est pas en accord avec ce jeu de scène qui semble fabriqué : tout au long de la pièce, le legato s’efface derrière des phrases martelées. La partie centrale de la dixième étude souffre du même défaut malgré la démonstration technique époustouflante des enchainements d’octaves qui l’encadrent.

Les tumultueuses études « Vent d’hiver » et « Océan » produisent quant à elles une impression contrastée. La tempête de notes est bien là, mais le chant à la main gauche peine pendant la première, tandis que le choix d’une accélération significative du tempo dans l’ultime réexposition de la seconde sonne comme un péché de virtuosité gratuite au détriment d’un développement cohérent.

Alors que les applaudissements saluent cette performance virtuose mais manquant de sentiment, on s’interroge sur le choix du programme : pourquoi ne pas avoir choisi de jouer tout l’opus 25, avant d’enchainer sur les études de Liszt ? Le programme aurait paru moins artificiel. Dans sa note d'intention proposée au début du programme de salle, Yoav Levanon explique qu'il a cherché à partager des morceaux qu’il aimait ; son interprétation plus probante des Études-Tableaux de Rachmaninov lui donnera raison.

Le pianiste définit un climat d’ondoiement mystérieux dans la deuxième étude du recueil opus 39 avant de souffler le public dans la troisième, admirablement conduite. Le dramatisme puissant de la cinquième est rendu sans concession tandis que ses moments doux, presque orientalisants, drapent le morceau d’une couleur exotique. On regrette que cette diversité de propositions sonores n’ait pas été étendue à l’ensemble du récital : dans Chopin et Liszt, on a certes droit à des variations de nuances mais on entend le même son, plus ou moins fort, sans caractérisation plus aboutie. Levanon impressionne par sa technique de staccato dans la huitième étude avant de clore la première partie du récital avec la sixième, celle du petit chaperon rouge, dont la théâtralité est assez bien rendue malgré une approche un peu métronomique.

Après une pause bien méritée, le musicien retrouve son piano pour ce monument que sont les Études d’exécution transcendante. Alors qu’il se concentre, on constate une ressemblance physique frappante : on a l’impression de voir Liszt lui-même ! Cependant ce n’est pas Liszt au piano. Alors que le tout sonne comme un enchainement de numéros aux aigus claquants sans souffle romantique emportant l'ensemble, certaines études sont réussies tandis que d’autres laissent l’auditeur sur sa faim. Le Preludio trop sage perd de sa dimension magistrale. L’Eroica est saisissante dans son finale, mais toute la progression de cette paraphrase d’opéra qui ne dit pas son nom reste bien cachée. Il est cependant agréable de constater que Yoav Levanon ne triche pas : en témoigne son utilisation très parcimonieuse de la pédale dans les Feux follets. Toutes les notes sont là, mais c’est finalement dans les numéros les plus calmes que l’interprète convainc davantage : le Paysage est captivant de bout en bout tandis que la Ricordanza en clair-obscur résonne dans le silence recueilli de la salle.

En fin de concert, Yoav Levanon, décidément bon élève, remerciera de vive voix de manière très expansive son label, ses proches et son public en utilisant enfin le micro qui depuis le début du concert reposait derrière l’instrument. Puis prend congé en interprétant à grand renfort de gestes une Étude révolutionnaire de Chopin qui illustre bien son récital : beaucoup de technique mais peu d’émotion véritable.

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