Don Juan, sept lieder de Strauss et Titan : les Bamberger Symphoniker nous offraient ce soir un vaste aperçu de l'idéal postromantique allemand, tant amoureux qu'héroïque. À leur tête, le charismatique Jonathan Nott a suscité la totale adhésion du public, malgré les imperfections de son orchestre et de sa battue.
À l'instar de Dom Juan (et d'Alexandre), le jeune Strauss aimerait manifestement qu'il existât d'autres mondes pour y pouvoir étendre ses conquêtes (musicales), et c'est dans l'explosion des timbres qu'il figure le héros dionysien. Au long de cette quête incessante, Don Juan court d'une femme à l'autre, d'un langoureux premier violon à un caressant hautbois, imprimant sur chacune de ses victimes la marque de la victoire — des cors éclatants, des rythmes pointés, virils et impérieux. Le bouillonnement mélodique est quelque peu desservi par une certaine imprécision, tant dans la direction (plus visuelle qu'utile, à en entendre l'approximation des entrées) que dans certaines attaques ; mais il est vrai que la partition est ingrate pour une ouverture de concert, mettant dès les premières notes chaque instrument à rude épreuve. Néanmoins, la fougue générale de l'œuvre et de ses interprètes tolère aisément le chaos, qui disparaîtra avec les dernières notes et le dernier souffle du séducteur lassé.
Le concert se poursuit avec sept mélodies du même compositeur, dont les Quatre Lieder op.27 qu'il offrit en cadeau de mariage à Pauline de Ahna. Si ce présent exalte, dans des poèmes de Kart Henckell, Heinrich Hart et John Henry Mackay, les beautés de l'union amoureuse et sacrée, les autres pièces évoquent un amour plus sauvage : Verführung raconte une séduction, et Frühlingsfeier la bacchanale des jeunes filles qui découvrent Adonis mort. Ce sont d'étranges couleurs harmoniques et mélodiques que confronte Strauss dans ce Lied étonnant, au sujet rare — on s'attend à une douce mélopée printanière et on entend les cris désespérés des femmes : « Adonis ! Adonis ! ». Dans cette folle fureur, Violeta Urmana est magistrale, jouant aisément avec les contrastes entre les strophes, entre les vers, entre les mots. Spécialiste s'il en est de ce répertoire exigeant, la soprane donne une vision pure et ressentie de ces poèmes composés dans l'élan amoureux. Sa puissante voix se fait tantôt méditative (Ruhe, meine Seele), tantôt envoûtante (Heimliche Aufforderung), mais c'est dans le subtil équilibre des contrastes, entre intimité amoureuse et vibrante extase, qu'elle resplendit (Cäcilie).