La Petite Renarde rusée est un ouvrage que Leoš Janáček a conçu pour l'écrin du Théâtre de Brno où il a été créé il y a un siècle. De quoi s'agit-il ? D'un opéra pour enfants ? d'un conte pour adultes ? ou de quelque chose qui finalement pourrait se rapprocher d'un ouvrage qui est quasiment contemporain, L'Enfant et les Sortilèges de Ravel et Colette ? L'histoire est simple : un garde-chasse s'empare d'une renarde et veut en faire un animal domestique comme un autre. Bien entendu, il n'y arrive pas et elle ne tarde pas à s'échapper. Elle court dans les bois, batifole et tombe amoureuse d'un renard. Ils se marient et ont beaucoup de petits, jusqu'au jour où la renarde tombe sous les balles d'un chasseur. Tout cela au milieu d'une nature exubérante, qui fourmille de toutes sortes de bestioles, et de quelques humains qui n'ont pas le beau rôle.

<i>La Petite Renarde rusée</i> à l'Opéra Bastille &copy; Vincent Pontet / Opéra national de Paris
La Petite Renarde rusée à l'Opéra Bastille
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Ne boudons pas notre bonheur devant la reprise à l'Opéra Bastille (confiée à Dagmar Pischel) de la production d'André Engel qui, en 2008, avait fait l'unanimité. D'abord pour la simple beauté et l'ineffable poésie des décors dus à Nicky Rieti : la forêt près de laquelle est censée se dérouler l'action est un flamboyant champ de tournesols qui fait toute la largeur de la scène, bordé par une ligne de chemin de fer (où ne passera jamais aucun train). Les tableaux suivants nous mèneront dans une sorte de ferme-usine fatiguée par les ans, dans une auberge bien sombre et, avant que le printemps ne revienne avec ses tournesols, l'hiver et ses étendues de neige se seront substitués à l'automne imaginé par Janáček.

Elisabeth Neumuller a dessiné de fabuleux costumes pour tous ces animaux qui grouillent, piquent, volent et s'agitent autour de la si rusée renarde. La scène du poulailler au deuxième tableau est hilarante : imaginez une bonne vingtaine d'exécutantes affublées de costumes rose bonbon imitant à la perfection la démarche et le jeu de tête de ces volatiles familiers. Les moustiques, les mouches, les vers de terre ne sont pas moins gâtés. Les lumières de l'un des grands maîtres de la profession, André Diot, sont admirables, et on doit le souligner ici, nous épargnent ces clairs-obscurs plus souvent obscurs que clairs qu'on nous inflige trop souvent dans les mises en scène actuelles.

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La Petite Renarde rusée à l'Opéra Bastille
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Du côté de la fosse, on n'est pas en reste d'admiration. L'orchestre de Janáček se reconnait immédiatement. Pas de prélude, d'entrée en matière, et pour les musiciens pas le temps de se chauffer. La concentration maximum est requise tant de l'orchestre que du chef, parce qu'on est d'emblée dans un irrépressible mouvement et une incertitude tonale qui happent l'auditeur. C'est un compatriote de Janáček, le chef slovaque Juraj Valčuha, qui a été choisi pour cette série de représentations, et il n'y a que des éloges à lui faire. Le mélange fosse-scène-salle met un peu de temps à s'installer, on trouve au début l'orchestre trop timide, et les premières brèves interventions de petits animaux chantées par des enfants sont inaudibles. Le garde-chasse – Iain Paterson a été remplacé par Milan Siljanov – est aussi un peu en déficit de puissance.

Mais tout le monde va prendre ses marques, et les équilibres se trouver naturellement. Une fois encore, l'Orchestre de l'Opéra de Paris fait une éblouissante démonstration de justesse stylistique. Seule déception sur le plateau : Marie Gautrot (la femme du garde-chasse) qui peine à se faire entendre. La renarde d'Elena Tsallagova et le renard de Paula Murrihy sont formidables : elles chantent comme elles jouent, bougent et dansent, à la perfection.

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La Petite Renarde rusée à l'Opéra Bastille
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Il reste quelques questions : pourquoi l'Opéra de Paris a-t-il choisi l'immensité du vaisseau de Bastille plutôt que le Palais Garnier, bien plus approprié aux dimensions de cette fable lyrique ? Et surtout, cet opéra en langue tchèque fut très tôt popularisé en Europe centrale dans sa version allemande, et plus tard sur les scènes britanniques en langue anglaise. Quant à la création française, elle eut lieu à Paris en 1957... en allemand, avant que La Monnaie de Bruxelles ne produise l'ouvrage en français en 1961. Pourquoi, au nom d'un dogme qui s'est imposé après-guerre sur les scènes françaises (donner les opéras en version originale) s'être refusé à donner l'ouvrage en français ? La réussite de ce spectacle en aurait été considérablement renforcée et cet opéra serait sûrement aussi populaire en France qu'il l'est chez nos voisins.

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