Retardé d’une année pour cause de pandémie, ce concert du 6 octobre est un reflet presque complet du disque paru chez Alpha et encensé par une critique unanime. Justin Taylor propose un éclairage particulièrement intéressant sur l’œuvre de Jean-Philippe Rameau, en dévoilant nombre de pièces inédites des membres de sa famille et l’hommage de Forqueray, son contemporain.
Ce portrait en musique paré d’harmonies riches et dissonantes et de rythmes pointés évoque la nature ombrageuse du maître dijonnais dont les mouvements d’humeur sont restés justement célèbres. Le clavecin n’est pas le mythique Donzelague du château d’Assas utilisé pour le disque mais un Rückers-Taskin de Marc Ducornet qui ne manque ni de charme ni de profondeur de timbre dans la belle acoustique de la salle Cortot. Fait rare parmi les clavecinistes toutes générations confondues, l’artiste joue par cœur un vaste programme. Aucune des pièces (exceptée la célèbre gavotte nantie de ses six doubles) n’excède quelques minutes, mais les changements de caractères sont nombreux et les exigences techniques variées. La plupart des tubes attendus sont au rendez-vous, des Sauvages à La Poule en passant par un Rappel des oiseaux particulièrement sérieux, où le claveciniste explore les résonances de l’instrument et souligne la modernité d’un compositeur déjà conscient des textures spectrales de l’harmonie.
Cette approche personnelle qui interroge le compositeur et bouscule les habitudes de l’auditeur ne fonctionne pas toujours mais ouvre des voies expressives intéressantes. La belle Allemande en mi et La Sylva dont la notation est déjà truffée d’indications de rubato supportent mal une dose supplémentaire de flouté rythmique. La fière Rameau de Forqueray gagne une manière de profondeur mais perd son chic et son extravagance, là encore trop d’idées nuisent à la clarté du discours. Il est vrai que quand l’artiste explique qu’il va parer de sensualité le bis (Andante de Marcello) on pense à un magicien qui dévoilerait ses secrets… qu’importe ! Cette courante éperdue, cette Jupiter sérieuse et déterminée, cette gavotte dont les dernières variations creusent magistralement la polyphonie signalent une esthétique personnelle qui frappe fort. Le claveciniste a le chic d’introduire force fusées et ornements dans les interstices les plus impraticables (Les Sauvages, L’Egyptienne), invente des contours expressifs superbes, calme les ardeurs de Sauvages plus nobles que de coutume, s’amuse des galanteries surannées du rondeau gracieux de Lazare Rameau, l’un des neveux de Jean-Philippe. Le menuet frétillant et serti de notes répétées nous rappelle au souvenir de Claude-François Rameau, fils qui prendra soin des manuscrits précieux de son père en vue de leur édition complète.
Un beau mouvement orné du concerto de Marcello transcrit par Bach et deux brillantes sonates de Scarlatti concluent l’ambitieux récital d’un artiste qui s’efforce de renouveler les ressources expressives de son instrument, d’en étendre le vocabulaire.