ENFRDEES
The classical music website

L'époustouflant Requiem de Jaap van Zweden avec l'Orchestre de Paris

Par , 02 mai 2023

« Dans l’immensité de la création, une question parle plus fort que la réponse », écrivait Charles Ives à propos de son énigmatique Unanswered Question. Ces mots ont aussi résonné avec force à l'issue de la bouleversante Messa da requiem de Verdi interprétée mercredi dernier à la Philharmonie par Jaap van Zweden, à la tête d’un Orchestre de Paris phénoménal comme son Chœur, et avec un quatuor vocal d’exception (Elza van den Heever, Aude Extrémo, René Barbera et Jean Teitgen).

Jaap van Zweden dirige le Requiem de Verdi à la Philharmonie
© Mathias Benguigui / Pasco and Co

L’expérience vécue relève d’une sorte de transport mystique. Le temps est suspendu dès le premier instant, avec cette vague sonore qui naît imperceptiblement des tréfonds aux violoncelles, appel mystérieux d’un au-delà du temps, pour monter progressivement, avec l’entrée des violons, vers une lumière empreinte d’une poignante douleur. Sur ce halo sonore des cordes, une voix glaçante (basses et ténors du Chœur), semblant sortir tout droit d’une sépulture, se fait entendre, à peine murmurée, comme une horloge venue sonner l’heure de la prière pour les défunts. Des voix féminines s’y joignent, apportant à cet accablant paysage d’éternel repos quelque chose d’une quiétude céleste par leur timbre cristallin. 

Dans sa lecture, d'une méticulosité d’orfèvre, Jaap van Zweden réussira ensuite la prouesse de réunir la force dramatique colossale d’un Dies irae et le lyrisme le plus bouleversant d’un Lacrymosa ou Agnus Dei, tout en étant sensible à la richesse des nuances. Sous sa baguette, la musique est d’un bout à l’autre l’expression d’un souffle unique : celui de l’être humain face à la mort. L’effrayant Dies irae trouve ainsi une exécution à la hauteur de l’exigence demandée par Verdi, véritable moment eschatologique, d’horreur extrême. Avec quelle force résonnent ensuite dans ce vide cosmique les terrifiantes trompettes du Tuba mirum ! Et quels frissons procure l’époustouflante voix caverneuse de Jean Teitgen, véritable juge suprême des Enfers ! Pour le retrouver quelques minutes plus tard d’une bouleversante tendresse dans le Rex tremendae.

Le ténor René Barbera est en revanche le plus fragile des solistes, montrant notamment une difficulté en début de soirée pour franchir le puissant mur sonore de l’orchestre. Mais, progressivement, il gagne en assurance et finit par trouver sa place dans l’ensemble. Sa voix claire, angélique s’avère idéale dans son Ingemisco ou son Hostias, apportant une saisissante touche de pureté.

Elza van den Heever, Aude Extrémo et Jaap van Zweden
© Mathias Benguigui / Pasco and Co

Quant aux deux solistes femmes, elles sont impressionnantes. Dotée d’une puissante présence scénique et d'un timbre charnu, voluptueux, capable d’épouser parfaitement la lumière et les ténèbres, la mezzo-soprano Aude Extrémo se révèle une interprète de premier ordre aussi bien dans le Liber scriptus que dans ses duos avec Elza van den Heever (dans Recordare et surtout Agnus Dei, d’une rare poésie). Le mariage des timbres des deux chanteuses est simplement sublime.  

Elza van den Heever est quant à elle remarquable de la première à la dernière mesure. Son soprano est lumineux, brillant, doté d’une puissance formidable : l’aisance avec laquelle elle surplombe l’orchestre est déconcertante. Pour la dernière section de l'ouvrage (Libera me), sa voix se pare de sonorités effrayantes, cherchées dans la profondeur de la poitrine, pour s’élever ensuite vers une supplication ardente, voire violente, ou vers un chant quasi hiératique d’icône. Car sa puissance n’exclut pas l'expression de la fragilité et il y a quelque chose d’une grande sincérité dans son chant, très touchant. Dernière station dans son tumultueux voyage, l’âme est arrivée, dans sa nudité absolue, pour affronter le Jugement final. On ne connaîtra pas le verdict. La voix est absorbée dans le mystérieux halo de lumière orchestral. Les longues secondes de silence qui suivent les dernières notes, avant que des torrents d’applaudissements ne retentissent, appartiennent encore à ce Requiem mémorable.

*****
A propos des étoiles Bachtrack
Voir le listing complet
“L’expérience vécue relève d’une sorte de transport mystique”
Critique faite à Philharmonie de Paris: Grande salle Pierre Boulez, Paris, le 26 avril 2023
Verdi, Requiem
Orchestre de Paris
Jaap van Zweden, Direction
Chœur de l'Orchestre de Paris
Marc Korovitch, Chef de chœur
Elza van den Heever, Soprano
Aude Extrémo, Mezzo-soprano
René Barbera, Ténor
Jean Teitgen, Basse
Klaus Mäkelä fait son cinéma avec l'Orchestre de Paris
***11
L'Orchestre de Paris et Herbert Blomstedt pour l'éternité
*****
González-Monjas marque les esprits avec l'Orchestre de Paris
****1
Du crépuscule au jour nouveau : Saraste et l’Orchestre de Paris
****1
La Messe en si sans ferveur de Klaus Mäkelä
**111
Un grand Rituel pour le centenaire Pierre Boulez à la Philharmonie
****1
Plus de critiques...