Le rideau se lève dans le silence à l’Opéra Bastille, dévoilant dans l’obscurité une sorte d’échafaudage habillé de néons. Une ombre en descend et vient, d’un pas lent, s’allonger sur le devant de la scène. Simon Boccanegra, corsaire, bientôt doge de Gênes. La structure métallique pivote lentement, s’avérant un squelette de bateau gigantesque : le vaisseau d’un Simon fantôme, déjà hanté par ses démons. Le décès soudain de celle qu’il aime, l’accession à un trône qu’il n’a pas désiré, les intrigues politiques qui vont bientôt l’entourer achèveront de faire basculer le héros dans un monde de cauchemars. Il ne quittera pas le plateau de toute la durée de l’ouvrage, regagnant parfois son navire en marin maudit, poursuivi par le spectre de son amour perdu.
Pour cette nouvelle production, le metteur en scène Calixto Bieito s’est focalisé sur les idées noires du personnage principal. Si la coque du bateau se déplace régulièrement pour présenter ses différents angles au fil des scènes, c’est pour mieux figurer les rouages qui s’agitent sous le crâne de Boccanegra. Identique pour les trois actes, ce décor mobile a plusieurs mérites : il donne une unité au livret hétérogène, reliant admirablement le prologue et le premier acte (pourtant séparés d’une délicate ellipse d’un quart de siècle) ; sans insister sur un contexte historique accessoire, il met au premier plan la dimension psychologique des personnages, au centre de l’opéra de Verdi ; il place enfin les chanteurs dans les meilleures dispositions scéniques pour exercer leur art vocal.
Reconnaissons cependant que Bieito en fait trop ou pas assez : destiné à rehausser un décor qui risquerait de tourner à vide, l’usage massif de la vidéo bascule parfois dans la caricature. Si les images projetées permettent de montrer avec justesse les remous de l’insurrection dans l’esprit du doge, la captation répétée d’un Boccanegra debout dans son bateau pendant le premier acte est d’un intérêt limité. On peut également s’interroger sur l’utilité de la macabre séquence dévoilée à l’entracte, tant ce geste a ressemblé à une provocation gratuite à l’adresse des lyricomanes conservateurs (qui ont joliment mordu à l’hameçon ce dimanche, arrosant de huées le début du deuxième acte). À part cela, il n’y a vraiment pas de quoi crier au scandale : Bieito propose une vision singulière et cohérente de l’ouvrage, d’une profondeur psychologique à la mesure du drame verdien.
Le jeu des solistes est tout aussi remarquable : Mika Kares campe un Fiesco très juste, intense, plein de panache retenu, même si sa basse manque parfois de profondeur pour donner au rôle toute sa noblesse. Ingénue Amelia Grimaldi, Maria Agresta montre toute la souplesse et la tenue de sa ligne vocale, aux aigus aériens. Baryton acéré et puissant, Nicola Alaimo (le traître Paolo) lance magnifiquement le prologue avant de rentrer dans le rang par la suite, perdant en projection. On est moins séduit par le timbre de Francesco Demuro (Gabriele Adorno), ténor étroit et métallique, même s’il se marie parfaitement aux ensembles.