C’est l’affiche la plus lyrique du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence qui réunit ce soir deux artistes au sommet, accompagnés par l’Orchestre de l’Opéra de Lyon placé sous la direction de Christopher Franklin. Le programme ne comprend que peu de pages symphoniques, réservant une place privilégiée au chant, celui-ci puisant d’abord dans le bel canto avant d’autres détours – par le répertoire français entre autres.

Avec plus de 25 années de carrière, Juan Diego Flórez est resté fidèle à ses premières amours : révélé en 1996 par le Rossini Opera Festival (ROF) de Pesaro, dont il est devenu récemment le directeur artistique, c’est avec La Cenerentola de Gioachino Rossini que démarre le concert. Également passé par le ROF, le chef installe dans l’ouverture une pulsation vivante, aux commandes d’un orchestre impeccable techniquement, ceci valant en particulier pour les cors et les difficiles solos de clarinette, hautbois et piccolo. L’air de Ramiro « Principe più non sei… sì, ritrovarla io giuro » nous démontre ensuite que le ténor péruvien a conservé toutes ses qualités de virtuosité, de douceur du phrasé dans la section centrale, ainsi que d’extension vers un aigu rayonnant. L’extrait de Linda di Chamounix de Donizetti « Se tanto in ira agli uomini » confirme sa science du legato, entre élégance du phrasé et chant di grazia, où son aigu dernier, fortement projeté puis diminué, fait merveille.
Née en 1994, la soprano espagnole Marina Monzó a également fréquenté à plusieurs reprises le ROF et affronte « Ah, donate il caro sposo » tiré d’Il signor Bruschino de Rossini. La couleur vocale est d’une grande séduction, l'intonation extrêmement précise, et son vigoureux abattage lui permet d’affronter avec panache les redoutables passages d’agilité. On applaudit aussi le cor anglais, d’abord dans la très mélancolique cantilène, puis sollicité aussi en virtuosité pour la cabalette qui suit. L’air plus connu « O luce di quest’anima » de Linda di Chamounix est une nouvelle démonstration de beau chant orné, produit par un instrument d’une qualité homogène sur toute l’étendue. Du même opéra, la première partie du concert se termine par le duo « Da quel dì che t’incontrai » qui associe deux voix fort bien appariées, sous la direction attentive du chef, qui donne tous les départs.
Après l’entracte, le Roméo de Gounod dans « Ah, lève-toi soleil » est superbement caractérisé par une conduite de chant élégiaque sur le souffle, dans un français d’une remarquable qualité. Puis la Valse de Juliette « Je veux vivre » est évidemment pleinement recommandée pour Marina Monzó à l’agilité de colorature, dans une prononciation du texte acceptable mais perfectible toutefois. Le long duo « Je t’ai pardonné… Nuit d’hyménée » montre le ténor à son meilleur dans les moments d’intimité, mais révèle aussi ses limites de volume quand l’orchestre donne en décibels, alors que la soprano garde toute sa présence vocale grâce à sa vigoureuse projection. Après le court intermezzo de I Pagliacci, très ample de son et qui met bien en valeur l’orchestre, La Bohème de Puccini conclut le programme. « Che gelida manina » convient à nouveau idéalement au ténor, air déroulé sur un legato délicat et hyper contrôlé, faisant éclater son aigu sur le mot « speranza ». Puis le duo « O soave fanciulla » de la fin du premier acte donne l’occasion au couple Mimi-Rodolfo de sortir de scène, comme indiqué dans le livret.
Comme il le fait régulièrement à l’issue de ses derniers concerts et récitals, Juan Diego Flórez revient pour s’accompagner lui-même à la guitare et interpréter en bis trois chansons sud-américaines, dont « El día que me quieras » de Carlos Gardel et « Cucurrucucú paloma » de Tomás Méndez. Le ténor met beaucoup de cœur dans ces chansons, la complicité avec le public montant d’un cran quand il tient spectaculairement la note dans le dernier extrait. On revient ensuite à Puccini : Gianni Schicchi d’abord pour un « O mio babbino caro » délicieusement ciselé par Marina Monzó, puis Turandot et son célèbre « Nessun dorma ». Même s’il est évident que les exigences vocales du rôle complet de Calaf ne sont pas celles de Flórez, l’artiste n’en délivre pas moins une interprétation splendide et crédible, ponctuée par un « Vinceró » final effectivement vainqueur dans une ambiance alla Pavarotti, explosion de joie du public comprise pendant les dernières mesures orchestrales.